Avec le sport, Robert Redeker n'est pas très... sport. Disons même qu'il n'y va pas de main morte. Il a des arguments pour cela. A sa rescousse, il convoque, d'Aristote à Jean-Claude Milner, le ban et l'arrière-ban de la philosophie et des sciences humaines pour démontrer que le sport est une idéologie et que cette idéologie a transformé notre monde en "ludodrome de l'homme déshumanisé".
Explications. Avant le sport, il y avait le jeu. Au XIXe siècle, tout change. Pierre de Coubertin et quelques autres codifient, évaluent et organisent. Après la Seconde Guerre mondiale, le sport s'américanise comme pas mal d'autres choses. L'argent fait son entrée triomphale dans le système tout en conservant le discours sur les valeurs en guise de vernis. Le sport est selon Robert Redeker envisagé comme remède à tout, comme cataplasme universel. Et cela ne lui plaît pas du tout.
Pour lui, le sport est devenu depuis les années 1970 un avatar du libéralisme tout-puissant. La devise de l'olympisme - "plus vite, plus haut, plus fort" - est désormais vue comme une manifestation du travailler plus pour gagner plus pour consommer davantage. Et le sens dans tout cela ? Justement, il n'y en a pas ! Et c'est bien ce qui désespère cet homme, mi-agacé mi-désespéré, menacé de mort depuis une tribune publiée en 2006 dans Le Figaro dans laquelle il dénonçait la terreur islamiste.
Toujours sous protection policière, Robert Redeker ne donne pas dans la demi-mesure. Il s'en prend aux médias, aux hommes politiques et aux intellectuels qui entretiennent cette aire du vide où l'on se repaît du vertige du quantitatif. Car, comme pour le capital, le but du sport est le dépassement. "Le monde devient Occident moderne par l'intermédiaire du sport, en diffusant la haine de la limite et l'amour de l'illimitation." C'est du brutal, c'est sûr ! Mais on trouvera beaucoup de pistes dans cet essai vif, mordant et assez drôle au demeurant, dont une partie avait été publiée en 2008 chez Panama sous le titre Le sport est-il inhumain ?. Bien au-delà du pamphlet d'un nostalgique du sport d'antan, du rugby amateur, du foot entre potes - ça existe toujours, on le rassure... -, du Tour de France sans EPO, Robert Redeker propose une réflexion sur notre société, le culte de la performance, la santé tonitruante et quasi obligatoire, le dépassement de soi et la publicité omniprésente non pas pour un monde meilleur mais pour un corps meilleur. Il explique qu'avant de se dépasser il faudrait déjà s'accompagner... Faire un bout de chemin avec soi-même. Ne serait-ce que pour réfléchir.
Plus fort que la religion, le spectacle sportif structure une partie de l'existence des êtres humains jusqu'à forger de nouveaux champions dopés chimiquement et technologiquement dans ce que Robert Redeker assimile à un "eugénisme dépolitisé". A quelques semaines de grands événements - Rolland-Garros, JO de Londres, Tour de France -, cet essai en agacera plus d'un. Difficile pourtant de ne pas voir dans cette démonstration une belle endurance dans l'exercice intellectuel...