4 septembre > Histoire littéraire France

Hasard des célébrations littéraires - un sport éminemment français -, voici que coïncident le centenaire de la publication, chez Grasset et à compte d’auteur, comme l’on sait, de Du côté de chez Swann, premier volume d’A la recherche du temps perdu de Marcel Proust, avec le cinquantenaire de la mort de Jean Cocteau. Amis dans la vraie vie, puisque Reynaldo Hahn ou Lucien Daudet, deux des boyfriends de Proust, les avaient présentés en 1909 ou 1910, le rapprochement ne pouvait échapper à la sagacité de Claude Arnaud, par ailleurs biographe de Cocteau (chez Gallimard, en 2003). Les rapports entre les deux écrivains, monstres sacrés chacun à sa façon, de leur vivant et même après la mort de Proust, n’ont guère été simples, on s’en doute. L’essayiste les retrace et les analyse, tout en se délectant de leur complexité.

En dépit de leur différence d’âge, près de vingt ans, Proust et Cocteau ont bien des côtés jumeaux : ce sont deux grands bourgeois fils à mamans cultivées et abusives, l’une juive et l’autre catholique, orphelins de père, homosexuels, anciens élèves du lycée Condorcet, fascinés par « le grand monde », celui du faubourg Saint-Germain finissant, et persuadés que leur destin passera par la littérature. Ou pas. Mais, en 1909, lorsqu’ils se rencontrent, se fréquentent et se font « mourir de rire », l’un, bientôt quadragénaire, n’a encore publié que Les plaisirs et les jours (en 1896), un recueil de pastiches parus dans Le Figaro, et des traductions de John Ruskin (largement dues à sa mère, la très érudite Jeanne Weil-Proust), tandis que l’autre, 20 ans à peine, est considéré comme un poète prodige, publié et fêté par le Tout-Paris. Excepté la naissante NRF de Gide, Ghéon, Rivière, Schlumberger et Gaston Gallimard, qui se défient de lui.

Dans les années qui suivent, leur relation évolue : séduit au début par Cocteau, Proust va se détacher peu à peu. Son amitié exigeante, étouffante, inquisitrice, va lui reprocher de se disperser, de galvauder son talent, au fur et à mesure que lui-même se retire de plus en plus du monde, se reclut, afin d’achever son grand œuvre, y sacrifiant sa vie. De tout cela, de cette différence, Cocteau était bien conscient, qui disait de lui : « Je suis en caoutchouc. » Il fut aussi l’un des tout premiers admirateurs de Proust, l’un de ses défenseurs, quand il était de bon ton (y compris à la NRF) de le considérer comme un riche dilettante snob qui « portraiturait des duchesses ».

Mais la postérité est passée par là. Proust est maintenant estimé, à juste titre, comme l’un des écrivains modernes les plus marquants, un génie, tandis que l’œuvre de Cocteau, protéiforme, inégale, laisse toujours un peu songeur. « Le » tortue (puisque Proust s’ingénia toujours à travestir son homosexualité, que Cocteau afficha sans complexe) a dépassé « la » lièvre. Durant les cinquante ans qu’il lui survécut, Cocteau en fut conscient, non sans aigreur ni jalousie. D’après Claude Arnaud, un tantinet partial, la critique moderne aurait enfin rendu justice au « Cocto » de Proust. Pas si sûr. J.-C. P.

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