En vertu d’un nouveau mécanisme procédural, les sages du Conseil Constitutionnel peuvent désormais statuer sur la législation en vigueur. Et ce, dans le but affiché de favoriser, notamment, la liberté d’expression. Le dispositif, qui autorise en effet tout citoyen à contester la constitutionnalité d’une loi portant atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, est entré en vigueur le 1 er mars dernier. Il s’agit à l’origine de l’article 61-1 de la Constitution – instauré durant l’été 2008 - dont une loi organique du 10 décembre 2009 a défini les conditions d’applications, suivie par deux décrets du 16 février 2010. Les conditions pour poser une question de constitutionnalité sont assez simples à remplir. La demande intervient dans le cadre d’un procès, y compris ceux qui ont été initiés avant l’entrée en vigueur de ce mécanisme. Afin d’éviter son utilisation à des fins dilatoires, le juge ne transmet la question à la juridiction suprême que si trois critères sont remplis : la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances de fait ou de droit ; enfin, elle n’est pas dépourvue de caractère sérieux. L’avocat des Arènes, Vincent Toledano, a par ce biais tenté de faire invalider le régime juridique de la « diffamation spéciale ». Mais le 15 septembre dernier, la Cour d’appel de Paris n’a pas fait droit à sa demande de transmission de question sur le régime juridique des « diffamations spéciales » ; autrement dit celles qui concernent « un dépositaire ou un agent de l'autorité publique ». L’éditeur arguait, d'une part, que l'article 31 de la loi sur la liberté de la presse, qui prévoit des sanctions plus importantes en cas d'atteintes à l'égard de personnes exerçant une fonction particulière, rompt le principe d'égalité des citoyens devant la loi et, d'autre part, qu'il restreint, en dehors de tout motif d'intérêt général, la liberté d'expression, portant ainsi atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et la Convention Européenne des Droits de l'Homme. Les magistrats d’appel (qui bénéficient eux-mêmes de ce texte de loi…) ont balayé cette rhétorique en raison d‘une difficulté procédurale. Mais ils ont aussi et surtout estimé qu’ « Est par ailleurs dépourvu de caractère sérieux l'argument selon lequel ce même article porterait atteinte à l'exercice de la liberté d'expression garantie par l'article 10-1 de la Convention Européenne des Droits de l' Homme, celle-ci prévoyant au second paragraphe de ce texte que l'exercice de ce droit, qui comporte des devoirs et des responsabilités, peut être soumis à des restrictions et sanctions déterminées par la loi aux fins notamment d'assurer la protection de la réputation ou des droits d'autrui. » C’est ensuite que, si les juges leur ont transmis la question, que le Conseil d’Etat et la Cour de cassation, selon les cas, examinent à leur tour la réunion de ces conditions. Lorsque la question de constitutionnalité est transmise aux juridictions supérieures, le juge du fond saisi doit surseoir à statuer jusqu’à réception de la décision du Conseil d’État ou de la Cour de cassation ou, si elle lui a été adressée, du Conseil constitutionnel. Certains ont réussi à franchir cette deuxième barrière, sans pour autant atteindre le Conseil constitutionnel. Ainsi, dans un arrêt rendu le 7 mai 2010, un requérant qui souhaitait attaquer l’article 24bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse (article rajouté en 1990, instaurant le délit de contestation de crimes contre l’humanité) comme contraire à la liberté d’expression, s’est vu opposer un refus de la Haute juridiction au motif que « l a question posée ne présente pas un caractère sérieux dans la mesure où l’incrimination critiquée se réfère à des textes régulièrement introduits en droit interne, définissant de façon claire et précise l’infraction de contestation de l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité ». Dès lors, la répression desdits délits « ne porte pas atteinte aux principes constitutionnels de liberté d’expression et d’opinion ». Et donc, « il n’y a pas lieu de transmettre au Conseil constitutionnel ». Enfin, à supposer que toutes les barrières sautent, le Conseil constitutionnel, dès lors qu’il est saisi, est tenu de se prononcer dans un délai de trois mois. Il peut alors statuer que la disposition législative en cause est contraire à la Constitution. Dans cette hypothèse, il décidera de son abrogation à compter soit de la publication de sa décision, soit d'une date ultérieure qu’il fixera. On le voit, la route procédurale est donc longue, mais elle finira par aboutir à la remise en cause de nombre de textes liberticides qui briment aujourd’hui l’édition.