En cette année 1936, il a 61 ans. Prix Nobel de littérature en 1929, Thomas Mann vit pour écrire. Cela fait trois ans qu’il est installé à Küsnacht, dans une maison au-dessus du lac de Zurich, à quelques minutes en voiture de la ville. L’écrivain cherche à récupérer le mobilier et la maison de Munich qui lui ont été confisqués pour le punir d’avoir vécu à l’étranger. D’être parti aux Etats-Unis, où il est publié par Alfred Knopf et où il a été fait docteur honoris causa de l’université Harvard.
Dans son premier roman, La décision, Britta Böhler, avocate établie aux Pays-Bas, se met dans la peau de Mann au moment où celui-ci choisit de condamner publiquement le régime nazi et l’Allemagne dans une lettre à paraître dans un journal. L’auteur de La montagne magique a compris que "les ponts sont coupés", qu’il risque d’y avoir des "conséquences fâcheuses", que son éditeur Bermann ne va pas être ravi. Lui qui chérit tant Wagner, Schopenhauer et Nietzsche ne veut pas penser au "monstre" qui siège à Berlin, être abject dont il déteste "le côté militaire de bas étage, le pathos, la voix".
Britta Böhler procède par petites touches. Et brosse un portrait subtil de Thomas Mann. Lequel est ici entouré de sa femme Katia qui l’écoute, l’encourage, améliore ses idées ; de ses deux derniers enfants, Medi, qui veut être pianiste, et Bibi, le cadet difficile et maladroit ; du chien Toby, airedale terrier. Avec finesse, la débutante montre les hésitations du grand homme qui aime l’ordre, a besoin de faire la sieste, de consigner dans son carnet des notes quotidiennes pour fixer "la journée qui s’enfuit" ou ce qu’il ne peut dire à personne.
Le voilà qui projette de terminer le troisième volet de Joseph et ses frères, de se lancer dans un roman autour de Goethe. Qui se demande si, au lieu d’une rupture, il ne pourrait pas juste se mettre en congé de l’Allemagne jusqu’à ce que la situation soit éclaircie. Parfaitement composé, La décision est une vraie réussite.
Al. F.
