13 mai > Roman France

Charles Avril est un "intellectuel précaire" employé par un journal en ligne. L’ambition n’est pas son fort. Rien de décidé chez lui, si ce n’est ce geste de la main balayant sa mèche blonde qui lui retombe sur un front faussement juvénile. Il reçoit un jour une énigmatique carte postale qui lui donne rendez-vous à Walenhammes, "rue de l’usine à gaz". N’ayant aucune raison d’être ici plutôt que là, le velléitaire s’y rend. Walenhammes, ville minière sinistrée sur la frontière belge. Pour se renseigner, il lit l’Ephéméride de Lârbi, entre journal de bord de la crise en région "walenaise", théorie générale sur l’économie et oracle nietzschéen à la Ainsi parlait Zarathoustra. Un groupe de Brabançons terrorise la ville, mettant le feu à la belle piscine Art déco, vandalisant la bibliothèque municipale, pillant l’hypermarché des environs. Le nouveau maire, l’hyperactif Georges Fenycz, va remettre de l’ordre dans tout ça, sécurité et valeur travail (comprendre : le marché roi) sont les deux mamelles de sa politique. Entre-temps, la violence physique et sociale (on délocalise une usine de glaces au Maroc !) continue de ravager ce coin perdu de Flandre.

Après L’art français de la guerre (Gallimard, prix Goncourt 2011) et Elucidations (même éditeur, 2013), Alexis Jenni retourne à la fiction avec La nuit de Walenhammes. Il mêle ici l’imaginaire économique - de la même manière que son premier livre usa de l’imaginaire politique - aux tribulations de son héros "tintinesque", dans la veine pleine de rebondissements des feuilletonistes du XIXe siècle, avec des chapitres aux titres programmatiques. Il y a certes quelque chose de la fable antilibérale : "Le pragmatisme est irréfutable, en discuter n’a pas de sens. Et donc l’économie, cette fausse science, se contente de formuler la soumission au réel. Bien sûr que ça marche, puisque tout marche, comme dans la nature où sur le pire rocher on trouvera toujours un petit lichen." Mais c’est un vrai-faux roman à thèse, car on y trouve plus de roman que de thèse. A l’intrigue économique Jenni a su entremêler les fils d’une belle histoire d’amour entre Charles et la maître-nageuse Marie qui lui présentera son ami prophétique Lârbi, chargé de la conservation du patrimoine de Walenhammes. Au-delà de l’esthétique de "la ligne claire", et des personnages campés comme des chromos, on goûte à l’art du récit d’Alexis Jenni : son sens du paysage (urbain), ses remarques comme autant de maximes de moraliste, sa poésie du quotidien - descriptions si justes d’une saucisse-frites ou des bienfaits de la bière -; la beauté dans les plis du réel. S. J. R.

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