« Selon la tradition juive, la vraie noblesse est celle du savoir. » Celui-ci se forge dès les premières années de la vie. A l'heure où on réclame à Robert Badinter ses Mémoires, cet homme pudique préfère évoquer la figure de sa grand-mère. Une façon de se raconter entre les lignes. Sa madeleine de Proust ? « Le parfum d'eau de Cologne », dont Idiss « se versait deux gouttes derrière les oreilles ». Elle est essentielle pour comprendre les combats de l'avocat et du ministre.
Aventurière malgré elle, Idiss naît en Bessarabie, en 1863. Une époque qui ne connaîtra jamais la quiétude. Surtout pour « les juifs du Yiddishland, l'horizon était toujours chargé de menaces ». Réfutant le ton larmoyant, Robert Badinter retrace le portrait d'une femme, pleine de douceur et de ferveur. Une femme, « pauvre comme Job », bravant les dangers pour nourrir ses enfants, lorsque son mari rejoint l'armée du tsar. La situation politique s'envenime, mais « pour eux, partir n'était pas fuir. C'était aller ailleurs, où ils bâtiraient un autre avenir. » Pourtant, devenir une étrangère s'exprimant en yiddish n'est pas évident. Idiss alias « la dame russe » ne baisse pas les bras. Elle s'adapte en préservant son tempérament vaillant et bienveillant.
« J'étais le dernier-né des petits-enfants d'Idiss, le cadet d'une génération née sur le sol de France », écrit Robert. Une fierté pour ces familles exilées ayant trouvé une terre d'accueil. Aussi faut-il la respecter, être à la hauteur des valeurs républicaines qu'elle défend. Ses parents fourreurs, Shifra et Simon, sont représentatifs de ces juifs engagés (leur référence étant Léon Blum), privilégiant l'assimilation et l'ascension sociale. Badinter décrit cette communauté bigarrée à travers plusieurs générations. A l'instar d'Idiss, l'apatride, ils doivent se réinventer, tout en affrontant les événements historiques.
« Ces juifs de nulle part se trouvaient chez eux partout, pourvu qu'ils fussent avec les leurs. » Ce leurre prend fin lorsque le nazisme s'impose. Idiss et les siens doivent une fois de plus craindre pour leur sécurité. Même si sa grand-mère adorée demeure un refuge stable, Robert Badinter capte les dangers d'un monde en train de vaciller. Ses racines déterminent le futur garde des Sceaux, président du Conseil constitutionnel, militant notamment contre la peine de mort. Sa devise ressemble à celle de Jaurès : « Aller vers l'idéal en partant du réel. » Et de cette grand-mère exceptionnelle, qui lui a ouvert la voie de la sagesse.
Idiss
Fayard
Tirage: 15 000 ex.
Prix: 20 euros ; 236 p.
ISBN: 9782213710105