9 NOVEMBRE - CHRONIQUES Egypte

Voici, pour une fois, un écrivain prophète en son pays. Cela fait des années qu'Alaa el-Aswany prédisait qu'un jour l'Egypte s'éveillerait et se révolterait contre son dernier raïs, Hosni Moubarak. Il n'est d'ailleurs pas plus indulgent à l'égard des deux précédents, Sadate et Nasser. Cette prédiction vient sans doute du fait que l'écrivain vit en permanence au contact direct de son peuple, puisqu'il exerce toujours sa profession de dentiste au Caire. Même après le succès planétaire de L'immeuble Yacoubian (le roman, édité chez Actes Sud en 2006, a été ensuite relayé par la belle adaptation cinématographique de Marwan Hamed), même devenu célèbre, El-Aswany ne s'est jamais coupé de la réalité égyptienne.

Depuis longtemps, il appelle de ses voeux la liberté et la démocratie, dénonçant la pauvreté et la corruption, ces deux plaies qui vont de pair. Non sans s'attirer les foudres du régime. Mais sa notoriété lui fut ensuite un rempart. Depuis 2009, Alaa el-Aswany a publié près de 200 articles dans les quotidiens Shorouk et Al-Masri Al-Youm, qui tous se terminent par la même profession de foi : "La démocratie est la solution. » Ils ont été rassemblés en trois volumes en arabe, parus en 2010 et en 2011, et c'est parmi ce vaste ensemble que l'éditeur a choisi les 50 Chroniques aujourd'hui présentées au public français.

Quarante-cinq ont été publiées avant, puis pendant la révolution. El-Aswany fut l'un des premiers "indignés" de la place Tahrir, et est considéré comme la conscience du mouvement. Il exprime sa joie, son espérance, sa confiance en la jeunesse de son pays. Mais les plus brûlantes sont les cinq dernières du recueil, parues depuis la révolution. Une en particulier, "Qui va juger Asma Mahfouz ?", est terrible.

Une belle jeune femme, arrêtée parmi les manifestants, passe devant le tribunal. Et découvre avec effroi que son juge n'est autre que Moubarak. Le sens de la parabole est évident : pour l'instant, en Egypte, rien n'a vraiment changé. Certes, le dictateur a démissionné et fait l'objet d'un procès pathétique. Mais ses clients sont toujours aux commandes politiques, économiques et militaires du pays, et l'armée, soi-disant garante des libertés, joue un rôle plus qu'ambigu : elle vient de massacrer des centaines de Coptes.

Alaa el-Aswany n'est pas dupe. Il sait que tout reste à faire pour que l'Egypte accède enfin à la liberté et à la modernité à laquelle elle a droit. Et que son peuple réclame. Du moins celui des villes : dans la vallée du Nil, les fellahs réagissent sans doute différemment. L'écrivain prend aussi soin de replacer le mouvement égyptien au coeur du tsunami démocratique qui est en train de balayer les dictatures du monde arabe et qui finira par triompher. A propos de la première riposte du pouvoir, sur le thème rebattu d'une "machination ourdie par des ennemis de l'extérieur », El-Aswany écrit : "Il est frappant de constater à quel point [...] la pensée de Bachar el-Assad ressemble à s'y confondre à celle de Moubarak, d'Ali Abdallah Saleh, de Ben Ali et de tous les autres dictateurs. »

Ces Chroniques d'un écrivain engagé au service de la cause de son peuple et de tous les peuples privés des libertés fondamentales ont une portée qui transcende l'événement : elles sont l'oeuvre d'un véritable humaniste.

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