Avant-critique

Les pérégrinations imaginaires d'Octave Mirbeau

Jean-Claude Perrier - Photo Olivier Dion

Les pérégrinations imaginaires d'Octave Mirbeau

Notre collaborateur Jean-Claude Perrier publie le 21 août aux éditions du Cerf La Mystification indienne, récit d'un voyage inventé de toutes pièces par le jeune Octave Mirbeau qu'il raconta en feuilleton dans Le Gaulois entre février et avril 1885.

J’achète l’article 1.5 €

Par Bastien Babi
Créé le 25.07.2025 à 11h49

Cela doit être un livre de science-fiction après-tout, un livre d’enquête ; pas un roman policier ; pas le récit d’un flic qui nous dirait le « juste », le « droit », ce que cela « aurait dû être ». Puisque écrire relève toujours de la « science-fiction » comme l’affirmait Deleuze. Et c’est de cette particulière alchimie dont il est précisément question, en fin de compte, dans La Mystification indienne (Cerf, 21 août). Jean-Claude Perrier, mot-à-mot, nous guide au cœur de l’Inde, dans les pas fantomatiques d’un certain « Nirvana », double énigmatique du journaliste et romancier Octave Mirbeau.

Si aujourd’hui Octave Mirbeau demeure principalement connu pour deux de ses romans, Le Jardin des supplices (1899) et Le Journal d’une femme de chambre (1900), il fut pourtant un auteur prolifique et parmi les plus influents de son temps : romancier certes, mais également journaliste radicalement libertaire et dreyfusard, critique d’art, dramaturge.

Mirbeau avant Mirbeau

Admiré aussi bien que redouté ; de tous les combats politiques, comme esthétiques, éthiques… C’est en tout cas ainsi, probablement, que le décrirait le Lagarde et Michard s’il avait pris la peine de le mentionner. Pourtant, c’est un « autre » Mirbeau que Jean-Claude Perrier nous invite à découvrir via son enquête : un Mirbeau avant la gloire ; un Mirbeau à un moment charnière de sa trajectoire sociale et intellectuelle ; un Mirbeau en constant, bien que paradoxal, mouvement.

Ainsi, du 22 février au 22 avril 1885 Le Gaulois, quotidien monarchiste et conservateur, voit paraitre au compte-goutte sept articles d’un certain « Nirvana » : celui-ci se serait embarqué pour un long voyage en Inde, et tiendrait sous forme de lettres le journal de son voyage, de ses découvertes et de ses réflexions ; enfin, un véritable reportage réalisé par un illustre inconnu.

Voyage immobile

Peut-être, après tout, que les plus beaux voyages sont encore ceux que l’on fait immobile : au moment où Nirvana débarque à Ceylan, Mirbeau poste les lettres de ce dernier depuis Paris pour Paris… il s’agissait d’abord de damer le pion à un rival, Robert de Bonnières, réellement sur la route de l’Inde ; puis la « blague » a pris, ou bien l’écriture.

Largement documentée, très érudite, l’imposture est totale. Elle est aussi, pour Mirbeau lui-même, embarrassante ; dans Le Gaulois, il en est encore à défendre le colonialisme français contre le colonialisme anglais ; loin, bien loin de l’image du pourfendeur du colonialisme qui restera de lui plus tard.

Peut-être Mirbeau rêve-t-il une Inde ? faute de voyage il n’a pu aller y vérifier si les couleurs qu’il rêvait étaient bien là… Jean-Claude Perrier grand lecteur, mais aussi voyageur, emboite le pas de ce rêve indien : cheminant toujours d’une ignorance l’autre, celle de Mirbeau comme la sienne, il nous livre le récit de l’imposture littéraire, la fameuse « mystification ».

Par un vaste travail d’érudition, il parvient à nous rendre l’Inde à son histoire (coloniale, intellectuelle, spirituelle et politique) et Mirbeau à sa conversion (littéraire, spirituelle et politique encore). Par sa sensibilité il nous rend, comme en écho déformé du rêve de Mirbeau, les couleurs de l’Inde, et les atermoiements de la vie d’un homme au travail – le fameux « prolétaire des lettres » –  à l’un des tournants de sa vie.

Jean-Claude Perrier, La mystification indienne (Cerf). 220p., 19E. Mise en vente le 21 août

Les dernières
actualités