La science-fiction est faite de science, de fiction, et d’une opinion tranchée sur le réel. C’est ce que déclarait Kloetzer dans une interview au blog Le Cafard cosmique à l’occasion de la parution de Cleer, une fantasy corporate : « Je pense plus que jamais que les univers inventés, comme ceux de la SF, sont un excellent moyen de parler de notre monde, pour rendre compte, en toute subjectivité, de la réalité. »
Cleer se tenait au bord de la science-fiction. Anamnèse de Lady Star, nouvel opus tentaculaire, s’inscrit pour le coup en plein dans le mille. Le pitch : la défense française, à un moment donné du XXIe siècle, a eu une idée géniale pour lutter contre les terroristes et émeutiers de tous bords, leur donner à voir un signe qui annihile leurs valeurs culturelles fondamentales, qui les vide de leur conscience et les laisse pour morts. Le problème : l’arme a dévasté le monde. Le contexte : des êtres plus ou moins virtuels cohabitent avec les hommes ; l’une de ces créatures est au cœur du complot qui a mené à la fin de notre monde. Il s’agit de la retrouver. Deux chercheurs en archéologie numérique de l’université de Nicosie traquent cette Elohim dans les souvenirs et les fantasmes de ceux qui ont eu affaire à elle.
Elohim. Oui, c’est le nom de Dieu. Car il est aussi question de Dieu, et de désir, et de dédoublement - de témoignage et de rêve, de labyrinthe et de codex, d’art, d’archives et de mondes fictifs issus du rêve de tous. Il y a quelque chose de borgésien dans l’univers foisonnant que Kloetzer met en place, et dans le rapport que les protagonistes de cette traque entretiennent. C’est troublant, c’est parfois déconcertant. Le lecteur doit s’accrocher pour poursuivre la belle mystérieuse de Dublin à la Suisse, du Japon à la Camargue et plus loin encore. Mais cela ne déplaira pas aux férus de SF, et les autres trouveront, dans cet univers sur-informatif, surnumérique, où chacun porte un egg qui le connecte et le révèle à l’ensemble du réseau, un aperçu convaincant de ce que peut devenir un monde où tout est signe. Pas si loin de notre réalité.
Fanny Taillandier