Livres Hebdo : En quoi vos origines allemandes sont-elles fondatrices ?
Katharina Loix van Hoof : Née à Berlin, j’avais 17 ans quand le Mur est tombé. Cette réunification m’a donné envie de découvrir d’autres mondes. Alors, je suis devenue journaliste en Allemagne de l’Est, à Saint-Petersbourg, en Ukraine ou en Afghanistan. Ma génération était pleine d’espoir, d’autant que l’Europe avait été créée afin d’éviter des guerres. Cet idéal incarne l’importance du vivre-ensemble, mais n’oublions pas que la démocratie se travaille. Aussi la lecture est-elle essentielle pour comprendre l’Autre. L’Allemagne est le champion des traductions étrangères. Polyglotte, je parle l’allemand, le français, l’anglais et le russe.
Quel est votre berceau littéraire ?
Mon père, Nicolas Borne, était un grand écrivain et poète allemand. Il est décédé quand j’avais 6 ans, mais il m’a fortement influencée. A la maison, nous étions toujours entourés d’auteurs, notamment Peter Handke, dont je suis devenue l’éditrice en France. Après des études de littérature comparée ou d’Histoire, je suis entrée dans la presse. C’est en 2013, que j’ai réédité l’œuvre de mon père. Cette expérience éditoriale primordiale m’a inspiré mon premier roman jamais traduit. J’aime écrire, mais pas être publiée.
Comment êtes-vous entrée dans l’édition ?
J’ai effectué un Master en politique éditoriale, à Villetaneuse. Lors de mon stage chez Grasset, j’ai appris la chaîne des droits. Je suis ensuite entrée chez Gallimard, à la tête de la collection "De monde entier". Un mélange de contrainte et de liberté… La littérature étrangère se vend difficilement, mais elle me passionne. On a besoin de traductions renouvelées des classiques et de nouvelles voix.
D’où vous est venue l’idée de créer votre propre maison d’édition ?
Quand j’ai quitté Gallimard, je n’ai pas trouvé de poste similaire. Un investisseur m’a encouragée à monter ma maison. Ça ne m’était guère venue à l’esprit, mais cette graine a germé en moi. Le rêve a hélas capoté avec le Covid. Alors, je me suis formée au CCI de Versaillles pour monter une maison indépendante. Les banques ont aimé mon côté « femme allemande » expérimentée. Grâce au "Laboratoire de l’édition", j’ai bénéficié de subsides pour une start-up innovante.
Pourquoi l’avoir baptisée "Les Argonautes" ?
J’aime ce mythe européen sur un groupe d’hommes partis en bâteau pour trouver la "Toison d’Or". Avoir une tête de femme comme logo est une façon d’aller à contre-courant. Pour briser la barrière culturelle des lettres étrangères, je privilégie la qualité et la diversité. Même si ce marché reste frileux en France, j’espère modifier ce mouvement ! La "génération Erasmus" s’avère plus cosmopolite. Certains auteurs, comme Orhan Pamuk ou Erri de Luca, prouvent qu’on peut les imposer avec le temps. Je publirai 10 à 12 livres par an.
Quelle est votre ligne éditoriale quant à la littérature européenne ?
Je tiens à travailler cet imaginaire commun car il forme une entité. Sa spécificité ? Le lien avec l’Histoire ou la migration. Tous les 100 km, il y a une culture, une littérature ou une langue différente. Quelle diversité patrimoniale ! J’aime ce métier qui tend à découvrir de nouvelles voix, emblématiques de leur pays. Si j’ai lancé la maison avec la Néerlandaise Marente De Moor, je présenterai une Arménienne en 2024. Les libraires réagissent positivement, même s’ils sont surpris qu’il n’y ait pas d’Anglo-saxons. Notre Plateforme sur le net les encourage. Cette "Carte" géographique, interactive, gratuite et ludique, veut promouvoir les lettres européennes, toute maison d’édition confondue. Ça attire les jeunes et ouvre les esprits.
Comment vivez-vous la première rentrée littéraire des "Argonautes" ?
C’est à la fois excitant et effrayant car je crains d’être écrasée par cette vague. N’étant pas une éditrice de niche, je joue toutefois le jeu avec Dana Grigorcea, "Ceux qui ne meurent jamais". Cette jeune roumaine, écrivant en suisse-allemand, a remporté divers prix avec ce Dracula, dans une Roumanie post-communiste. Son roman se veut une métaphore des leaders politiques vampiriques actuels. L’époque ne paraît pas propice à la découverte, or ça reste une nécessité. A l’instar des vampires, la littérature restera éternelle car l’homme aura toujours besoin d’histoires pour vivre.