Rentrée littéraire 2021

Kate Reed Petty, «True Story» (Gallmeister) : Réalité fragmentée

Reed Petty - Photo © Nina Subin

Kate Reed Petty, «True Story» (Gallmeister) : Réalité fragmentée

Une rumeur de viol brise la vie d'une adolescente américaine. Ce premier roman de l'Américaine Kate Reed Petty traduit son malaise à travers une multitude de voix et de genres littéraires. Tirage à 30000 exemplaires.

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Par Elise Lépine,
Créé le 21.07.2021 à 20h10

Si littérature et bricolage font rarement bon ménage, True Story est l'exception qui confirme la règle. Le roman est construit sur la forme du patchwork, assemblage de morceaux épars et divers, tant dans la forme que dans le fond. Dans les premiers chapitres, un narrateur se souvient de ses années lycée, les fameuses, celles où l'on se promet des fêtes inoubliables, des filles faciles et de l'alcool pour tromper les angoisses de la puberté. « On était juste en train d'essayer de passer du bon temps pendant qu'on le pouvait », se justifie le narrateur a posteriori, en se remémorant la soirée au cours de laquelle deux membres de son groupe de copains s'engouffrèrent dans un bar en fanfaronnant : ils venaient de déposer leur amie Alice, ivre morte et inconsciente, sous le porche de sa maison. Mais avant cela, ils l'auraient violée. La rumeur enfle. Incapable de rassembler ses souvenirs, Alice porte le poids d'une agression dont elle ignore les détails, sauf à les entendre, répétés, amplifiés, dans la bouche de chaque élève du lycée.

Cette première partie, façon campus novel, est assez classique. Mais le roman s'arrête net. Survient un scénario tapé sur machine à écrire, film d'horreur balbutiant, œuvre d'Alice et Hailey, sa meilleure amie de l'époque, mixant maladroitement esprit gore et girl power. Plusieurs de ces scripts parsèmeront le texte, éclairant la relation et le rapport au monde de ce duo. Tandis qu'Alice sombre dans la dépression, Hailey s'impose dans le milieu du cinéma comme une figure de la contre-culture féministe. Premier roman d'une originalité folle, évoquant Laura Kasischke dans sa maîtrise du trouble adolescent et son approche fine du traumatisme, True Story passe la parole aux différents protagonistes de ce groupe de lycéens, devenus adultes.

Chaque séquence porte la marque d'un genre littéraire différent, lorgnant souvent du côté le plus sombre du prisme. L'un des gaillards du lycée, qui fera bloc avec ses copains pour discréditer Alice et étouffer l'affaire, nous entraîne, le temps d'un week-end, dans un chalet perdu sous la neige, sombrant lentement dans une atmosphère horrifique très inspirée par Stephen King, où se mêlent délires éthyliques, apparitions spectrales et coups de hache. Plus tard, un long passage épistolaire dresse le portrait d'un dénommé Q. , qui transforme la vie d'Alice devenue adulte en cauchemar, la contrôlant comme le font les monstres des meilleurs thrillers.

Cette multiplicité de formes et de tonalités contraint l'esprit à un exercice d'adaptation à la lisière de l'inconfort, qui se révèle bizarrement addictif et donne envie de relire le roman sitôt terminé, pour en explorer chaque recoin. True Story entraîne le lecteur dans un étrange kaléidoscope, reflet de la mémoire amputée d'Alice et de sa vie cassée en morceaux. Sans jamais céder à la tentation du discours idéologique, le roman rend perceptible le malaise produit par l'injonction faite aux femmes à être respectables, et le gouffre de douleur promis à celles qui s'y dérobent.

Kate Reed Petty
True Story Traduit de l'anglais (États-Unis) par Jacques Mailhos
Gallmeister
Tirage: 30 000 ex.
Prix: 24,60 € ; 448 p.
ISBN: 9782351782132

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