Envers et contre tous . « Dans trois jours, j'aurai vingt-trois ans. Je vais mourir avant. Ils ne me louperont pas. La pute du Boche va être butée. » Ainsi s'ouvre le premier roman choc de Julie Héraclès, au nom mythologique synonyme de gloire. C'est plutôt une chute vertigineuse que nous conte sa protagoniste Simone, qui fait partie des femmes tondues à la Libération. Elle devrait afficher le visage de la honte or elle incarne plutôt une pietà protégeant son bébé. Nous sommes à Chartres, en 1944, face à l'objectif de Robert Capa saisissant l'insaisissable. À savoir cette scène où sont confrontées la foule haineuse et cette figure maternelle regardant si tendrement son enfant. « On a baisé avec des Allemands. C'est vrai. Ça fait pas de nous des criminelles, bordel. » Aux yeux de l'opinion publique, si, mais qui se cache derrière ce « visage transformé en tête d'obus » ? Intriguée, l'autrice donne à Simone une voix qui s'accorde à l'époque troublée dans laquelle elle évolue. On découvre, par flash-back, son existence plombée par la précarité. Avec sa mère et sa sœur, elles forment un trio luttant contre l'adversité. Le quotidien n'est guère évident, mais Simone aspire aux désirs de son âge. L'amour espéré se transforme toutefois en maltraitances répétées. La honte et le rejet la souillent à jamais. Or malgré ses désillusions, elle scande : « Je ne serai plus une petite victime qu'on violente, qu'on injurie, qu'on abandonne. J'irai jusqu'au bout de mes rêves. » Alors que tout le monde redoute l'arrivée des Boches, Simone va à contre-courant. « Je veux être Allemande. Pour me sentir forte, pour croire en mon avenir, pour mettre de la grandeur dans ma vie. » Elle, qui maîtrise parfaitement la langue de Goethe, devient traductrice au service de l'ennemi. Sa rencontre avec la redoutable diva Eva la mène sur des chemins insoupçonnés. Cette femme sans foi ni loi - si ce n'est celle d'être toujours du côté des gagnants - la pousse dans ses ambitions inavouées. « C'est la queue des hommes qui mène le monde. Alors, si tu veux continuer à avancer, il faut que tu te trouves une queue. » Ce n'est pas la philosophie de Simone, même lorsqu'elle fait la connaissance d'Otto. Un homme doux et discret, responsable de la librairie militaire. « J'oublie que je suis Française et toi Allemand, que nos deux pays se font la guerre. Nous sommes juste Simone et Otto », qui vont vivre un amour impossible dans des conditions extrêmes. Telle est la force humaine. Ils ne peuvent cependant faire fi de la réalité explosive. La bulle protectrice autour de l'héroïne n'est qu'un leurre. Un violoniste et une fillette affamée sont des symboles révélateurs de l'horreur. Quel est le prix du bonheur ? Écrit avec des phrases courtes, percutantes, ce premier roman agit comme une bombe à retardement. Il nous entraîne dans une quête de liberté dérangeante, profondément attachante. Devenue « la sorcière des temps modernes », Simone sait que « la pitié n'existe pas. La vengeance, oui ». Mais elle n'a peur de rien. « J'ai aimé. J'ai été aimée, ma vie peut cesser. Avec ma petite fille dans mes bras, je tiens ma raison de vivre. »
Vous ne connaissez rien de moi
Lattès
Tirage: 7 500 ex.
Prix: 20.90 € ; 384 p.
ISBN: 9782709671309