édito par Fabrice Piault, rédacteur en chef adjoint

Photo OLIVIER DION

Si Marcela Iacub avait analysé l’« affaire » Belle et Bête samedi dernier dans sa chronique hebdomadaire parfois irritante, souvent provocatrice mais toujours stimulante dans Libération, elle se serait sans doute étonnée des cris d’orfraie que suscite son immersion, jusqu’au corps à corps, dans l’univers de DSK. Même si elle tend, elle, vers l’autofiction, elle aurait peut-être rappelé qu’un quart de siècle plus tôt la plongée du journaliste Günter Wallraff dans l’univers infernal des travailleurs turcs en Allemagne (1) ou l’infiltration d’Anne Tristan parmi les militants du Front national (2) n’avaient pas suscité d’aussi vives protestations morales. Elle aurait certainement pointé le traitement particulier qui reste réservé à un ouvrage dès lors qu’il est tout de sexe dressé, et se serait vraisemblablement amusée qu’un grand hebdomadaire le réduise à « de la littérature sous cellophane ». Mais alors qu’elle faisait les gros titres, la juriste a prudemment préféré, dans son article du 23 février, s’intéresser aux conditions d’exercice de la sexualité dans les hôpitaux psychiatriques. Quitte à lui donner un titre qui résonne désormais, comme un pied-de-nez, beaucoup plus largement : « Une folle envie de jouir. »

Si la jouissance reste difficile dans les lieux de privation de liberté, elle bénéficie en réalité de moyens toujours plus importants dans l’édition. La trilogie Fifty shades en témoigne, aux 3e, 5e et 6e places de notre palmarès hebdomadaire des meilleures ventes, en attendant que, la semaine prochaine, notre abondant dossier sur le sujet ne donne à voir l’ampleur de l’extension éditoriale du domaine de l’érotisme. L’ordonnance rendue mardi soir par la juge des référés au tribunal de grande instance de Paris, Anne-Marie Sauteraud, conforte aussi habilement la liberté d’expression. Certes, Marcela Iacub, son éditeur et Le Nouvel Observateur, qui a publié avec six jours d’avance des bonnes feuilles du livre-scandale, se voient taper sur les doigts, facture à l’appui. Mais après insertion du bref encart « informant le lecteur de ce que le livre porte atteinte à la vie privée de Dominique Strauss-Kahn », Belle et bête pourra non seulement mener librement sa carrière en librairie, mais surtout continuer de susciter les débats très animés qu’il a déjà commencé à générer dans la presse. Jouer son rôle de livre, en somme.

(1) Tête de Turc, La Découverte, 1986&bs;.

(2) Au Front, Gallimard, 1987.

 

11.10 2013

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