Booker Prize pour La mer (Robert Laffont, 2007), prix Prince des Asturies pour l'ensemble de son œuvre, l'Irlandais John Banville est, au moins depuis la publication de son chef-d'œuvre L'intouchable (Flammarion, 1998), considéré unanimement comme l'une des grandes voix de ce temps. Certains auraient pu se reposer depuis longtemps sur cette réputation en attendant aussi calmement que possible qu'un hypothétique Nobel vienne la consacrer ; pas lui. Voici quelques années que, sous le pseudonyme de Benjamin Black, Banville s'adonne en amateur éclairé aux joies du récit de genre et plus précisément du roman policier. Jusqu'à ce jubilatoire Neige sur Ballyglass House qu'il signe cette fois-ci de son nom et qui de façon inattendue lui a permis de rencontrer enfin le plus large public avec plus de 200 000 exemplaires vendus en anglais. Qu'est-ce qui justifie ce succès ? D'abord le plaisir partagé d'un auteur et de ses lecteurs. Que l'on en juge.
Irlande, années 1950, une nuit d'hiver. Dans la belle quoiqu'un peu décrépite demeure des Osborne, une grande famille patricienne, est retrouvé le corps mutilé du père Tom, un ecclésiastique qui y avait ses habitudes et son rond de serviette. Venu de Dublin et d'un même milieu social, l'inspecteur Strafford est appelé sur place pour mener l'enquête. Ce trentenaire plutôt effacé est rapidement troublé par l'idée que chacun en ce coin semble tenir un rôle comme écrit d'avance, depuis le maître de maison, ancien militaire plus bougon que nature, jusqu'à son fils et sa fille, l'un farouche, l'autre assez volontiers nymphomane, en passant par la seconde Madame Osborne, neurasthénique à souhait, ou encore par un enfant sauvage qui fait office de palefrenier et d'homme à tout faire. Entre autres monstres plus ou moins conscients de l'être... Et tandis que Noël approche et que la neige recouvre le pays et jusqu'au moindre indice que le meurtrier pourrait avoir laissé, les ombres du père Tom se révèlent peu à peu, laissant deviner que chacun pourrait avoir eu de bonnes raisons de l'assassiner. Il fallait que la bête meure...
Il y a une vraie jubilation romanesque dans la façon dont ici John Banville s'approprie les codes du très traditionnel detective novel (et surtout ceux de sa plus fameuse représentante, Agatha Christie) en les respectant tous, tout en les transgressant à la fois. Son vrai sujet est dès lors moins la recherche du coupable que de dresser un tableau très sombre de son pays et des lignes de tension, religieuses, sociales, sexuelles, qui le traversent. William Boyd ne s'y est pas trompé saluant le caractère « incroyablement riche et sophistiqué » du livre. On ne saurait mieux dire.
Neige sur Ballyglass House Traduit de l'anglais par Michèle Albaret-Maatsch
Robert Laffont
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 21,50 € ; 416 p.
ISBN: 9782221255117