Toute cette histoire, qui n'en est guère une et s'achèvera d'ailleurs en queue de poisson, est partie d'une confidence qu'a faite sa mère, avant de mourir, au narrateur, Thomas Poisson. Son arrière-grand-père paternel, André, ferrailleur, aurait été la victime, en 1926, du fameux Victor Lustig, « le plus grand arnaqueur de tous les temps ». Lequel aurait tenté rien moins que de lui vendre la tour Eiffel, prétendant que la mairie de Paris n'aurait accordé la concession que pour vingt ans, et qu'il était temps de démonter l'engin, en place depuis l'Exposition universelle de 1889. Mort en 1923, Gustave Eiffel n'était même plus là pour démentir ou protester. Bien sûr, il s'agissait d'un canular, d'un poisson d'avril dont notre Poisson était la victime. Le genre de choses qui, dans une famille, se garde secret. Mais voilà, Thomas, quadragénaire, ancien rédacteur publicitaire au chômage depuis deux ans, exilé à la campagne et qui s'ennuie ferme, enfourche cette chimère pour échapper à son désœuvrement. Sa femme Carine, par ailleurs, demande à « réfléchir », mauvais signe dans un couple, et, s'il aime leur fils Valentin (8 ans quand commence le roman, en 2018, en pleine crise des « gilets jaunes »), l'enquêteur en herbe est un père calamiteux : distrait, gaffeur, maladroit...
Il décide de descendre voir son propre père, en EHPAD à Marennes, afin de lui tirer les vers du nez. En vain. En dépit de plusieurs jours passés sur zone, il n'obtiendra rien d'autre que quelques souvenirs de lui, lorsqu'il était ado et se rêvait en champion de foot. Avant que ses investigations ne tombent à l'eau et que le livre ne s'arrête, le 15 avril 2019 − le jour sinistre de l'incendie de Notre-Dame −, Thomas aura entraîné dans sa quête Lina, la jeune et jolie médiathécaire de son village, au charme duquel il ne succombera toutefois pas. Piètre mari, peut-être, mais fidèle et toujours épris de sa femme. C'est à la bibliothèque qu'il s'est fait une bande d'amis hauts en couleur. Ainsi Mansour, fils de harki qui n'a jamais mis les pieds en Algérie, prof de gym à la retraite et lecteur boulimique de romans, qui éprouve, en particulier, une grande admiration pour Maurice Pons (mort en 2016), auteur, entre autres, des Saisons. Il y a aussi Françoise, la mamie confiture un peu « gilet jaune ». Et Francky, dont la vie s'est écroulée à cause d'une bavure policière : garde à vue, procès, chômage (il était vigile dans un supermarché), divorce. Il ne rêve que de vengeance, mais, grâce à ses potes, ne passera pas à l'acte. On ne s'enfuit pas à quatre dans une voiturette ! Tout cela est emberlificoté à souhait, on s'y perd un peu parfois en dépit de la maîtrise romanesque de l'auteur, mais ça n'a pas d'importance. Ce qui importe, ce sont les personnages de cette gentille comédie humaine, pleine de nostalgie, de tendresse et d'humour, qui ferait un bon téléfilm pour un samedi soir sur France 3. Ce Poisson d'avril est réjouissant. Et que Lalumière soit.
L'invention de l'histoire
Éditions du Rocher
Tirage: 2 000 ex.
Prix: 18 € ; 216 p.
ISBN: 9782268108476