Photo GUILLAUME HERBAUT

Heureusement pour nous, ce n'est pas Eriko Nakamura - si charmante et amoureuse soit-elle de notre pays, où elle vit depuis dix ans - qui est chargée de briefer ses compatriotes écrivains, invités au prochain Salon du livre de Paris. Sinon, le professeur Hiroaki Ota verrait le nombre de ses patients - une cinquantaine par an - augmenter. "Le professeur Ota, raconte Eriko (et c'est l'un des scoops de son livre), est médecin aux urgences psychiatriques de l'hôpital Sainte-Anne, où il accueille les Japonais souffrant d'un mal étrange identifié comme le "syndrome de Paris" ! » La maladie se manifeste par des hallucinations, des bouffées de chaleur, un sentiment de persécution... Ou plutôt de culpabilité. "Car chez nous, au Japon, explique l'auteur, si quelque chose ne va pas, si quelqu'un se montre désagréable avec nous, nous pensons toujours que c'est notre faute, que nous avons fait quelque chose de mal !"

Or il semble que la plupart des Japonais se fassent une image idyllique du "french way of life", pensant que "vivre à Paris, c'est mener la vie de château" et que notre pays est une espèce de paradis synthétique. Forcément, dès qu'ils débarquent à Roissy plus ou moins en grève, tombent sur un chauffeur de taxi acariâtre, se font klaxonner ou insulter quand ils traversent l'une de nos rues sales, le choc est rude.

C'est ce choc que traduit l'expression japonaise "nândé », qui signifie à peu près : "Oh non ? Ce n'est pas possible, il (ou elle) n'a pas fait ça ! » Et, prononcé "Nââândé » afin d'en accentuer l'effet, c'est ce mot qu'a choisi Eriko pour le titre de son essai, original et décapant, sous-titré "Les tribulations d'une Japonaise à Paris". Elle y mêle les témoignages de ses compatriotes et les histoires collectées avec son expérience personnelle, laquelle, même au bout de dix ans, avec un mari français et trois enfants franco-japonais bilingues, lui réserve encore pas mal de "nândé ».

Naturellement, elle relativise : "Paris n'est pas la France. » Elle l'a appris à Tokyo, quand elle était l'une des stars de la chaîne populaire Fuji TV, "l'équivalent de votre TF1", dit-elle. Après ses études de droit, plutôt que d'intégrer la petite entreprise familiale - les Nakamura sont importateurs d'instruments de musique occidentaux -, à l'âge de 21 ans, Eriko postule à la télévision et subit une sélection féroce : sur les 3 000 candidatures reçues par Fuji TV, seules trois embauches au final. Dont celle de la jeune femme, qui présente des journaux, des magazines sportifs ou féminins durant huit ans. Mais la pression devient trop forte et elle laisse tout tomber : des paparazzis la guettent sans cesse, la photographiant même en compagnie de son boyfriend, un géant français de près de deux mètres, qu'elle appelle Charles-san, et qui travaille dans la mode.

Un regard juste et taquin

Ils se sont croisés une première fois à Tokyo dans un ascenseur, se sont revus à Paris lors d'un dîner, et ont concrétisé quand Charles-san est venu vivre quelque temps au Japon. "Chez nous, raconte Eriko, on appelle ça"kaïto", "le fil rouge". Une sorte de symbole de la prédestination, et l'on y croit beaucoup." Elle a vite su qu'elle devrait un jour suivre son époux en France, et s'en réjouit. Ici, outre l'apprentissage de notre langue, "difficile », reconnaît-elle, et l'éducation de leurs enfants, elle a écrit des articles pour la presse nipponne, et plusieurs livres à destination de ses compatriotes, dont des guides touristiques ou gastronomiques.

Mais Nââândé !? représente pour elle une première. C'est Eriko qui en a eu l'idée, puis un confrère français qui connaît bien le Japon, Joseph Beauregard, l'a interviewée et a mis le texte en forme. Quant à la publication, il se trouve que Guillaume Allary, jeune éditeur chez Robert Laffont, est un vieil ami de Charles-san. Toujours le kaïto. "Je me suis même reconnu, confie-t-il, parmi certains Français croqués par Eriko. Mais, même si je la connais très bien, je ne pouvais imaginer la réelle souffrance qu'elle éprouve encore face à tel ou tel de nos comportements. J'ai voulu qu'elle mette tout cela dans son livre, et c'est pour ça que le projet a pris environ trois ans." Elle peut en être fière : le bilan est sévère mais juste, taquin, jamais méchant.

En parfaite Japonaise, Eriko Nakamura se consacre maintenant au lancement de son livre, impatiente de découvrir les réactions des Français. Charles-san, déjà, s'est beaucoup amusé. Les Japonais, eux, pourront bientôt le lire dans leur langue. Quant au professeur Ota, peut-être arrivera-t-il à guérir un jour le "syndrome de Paris.

Nââândé !? Les tribulations d'une Japonaise à Paris, Eriko Nakamura, Nil, 180 p., 17 euros, tirage : 6 000 ex., ISBN : 978-2-84111-450-4. Mise en vente le 5 mar

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