Quand on aime, on ne compte pas. Lui l'adore et n'arrête pas de compter les dollars qu'il n'a pas. Adore son fils, ce petit bout d'homme, cette part de lui-même qui le renvoie à sa propre enfance ballottée - une mère blanche américaine morte trop tôt, un père philippin immigré... Henry, à peine sorti de prison, veut gâter Junior, 8 ans, dont c'est l'anniversaire. Alors ce sera la fiesta à hauteur d'enfant, enfant unique d'un gars paumé mais qui aujourd'hui a des raisons d'espérer. La joie de Junior qu'il a emmené chez McDonald's pour un Happy Meal et demain ce premier entretien d'embauche - un boulot de doreur - qui augure un début de fin du tunnel. En attendant, on ne roule pas sur l'or. Quand Junior commande, Henry, au moment de payer, troque ce menu qu'il juge trop frugal pour un Maxi Best Of et, glissant sa main dans la poche, espère y trouver assez de maille pour le rab convoité. Dans Abondance, Jakob Guanzon nous entraîne à travers la galère de son protagoniste et de son fils dans cet envers de l'Amérique prospère. Le titre est bien sûr une antiphrase, à moins qu'il exprime la foison d'emmerdes qu'Henry collectionne au fil des pages. Et chaque chapitre ne porte pas tant le numéro de son ordre d'apparition dans le récit que le chiffre de l'addition que va devoir payer le héros dans cette histoire de dèche - le gîte, le couvert, le carburant... la drogue. Le chapitre « $ 576.17 » est intitulé d'après le montant de la paye qu'Henry avait mise sur leur compte commun et que Michelle, mère de Junior, incurable junkie, vient d'aspirer d'un coup pour acheter sa dose ou les cachetons dont elle a besoin quand elle est en pleine descente...
Ce premier roman, avec trajectoire sur route cabossée, tient plus du roadmovie que du documentaire social. Quoique riche en détails réalistes, il ne donne pas l'image misérabiliste dans laquelle le sujet pourrait se complaire. Les moments de désespoir du personnage principal engendrent au contraire un dynamisme survolté, le tableau de motels et de pick-up dégagerait presque une pauvreté esthétisée. Ce qui touche le plus au fond est l'insécurité d'Henry. Quand, arrivés à leur chambre d'hôtel, Junior tombe malade et vomit, Henry ne joue plus à « mon père, ce héros ». Tatay ( « papa » en pilipino, comme il se fait appeler) a beau rassurer son enfant qu'il serre dans ses bras, « une pensée bruisse puis décolle et tournoie dans son crâne, devenant plus forte et plus claire après chaque tour. Si la paternité lui a appris quelque chose, c'est l'impuissance. »
Abondance Traduit de l'anglais (États-Unis) par Charles Bonnot
La Croisée
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 21,70 € ; 336 p.
ISBN: 9782413046110