Irma Pelatan, "Lettres à Clipperton. Une aventure épistolaire" (La Contre-allée) : Lettres et le néant

Irma Pelatan - Photo © Hesse & romier

Irma Pelatan, "Lettres à Clipperton. Une aventure épistolaire" (La Contre-allée) : Lettres et le néant

Jouant avec les contraintes qu'elle s'impose, Irma Pelatan invente le roman épistolaire sans destinataire.

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Par Jean-Claude Perrier
Créé le 12.04.2022 à 11h00

Tout l'art de l'Oulipo consiste, pour un écrivain, à s'inventer des contraintes aussi rigoureuses qu'absurdes, et finir par en triompher sous forme d'un ouvrage, souvent farfelu. Queneau en fut le maître, et il a suscité pas mal de disciples, dont Jacques Jouet. C'est, explique Irma Pelatan, disciple à son tour, son Projet Poétique Planétaire − envoyer chaque jour un poème à un parfait inconnu, en suivant l'ordre alphabétique des pages blanches des abonnés au téléphone − qui lui a inspiré son propre projet, à un moment où elle-même guettait fiévreusement dans sa boîte aux lettres la réponse éventuelle d'un possible éditeur.

Ayant acquis par hasard un stock de quatre cent vingt-cinq enveloppes par avion bleu blanc rouge, périmées mais valides, tout comme les vieux timbres-poste, elle a décidé d'expédier une lettre quotidienne (maximum vingt grammes soit sept feuillets sur papier extra-mince) à destination de l'île de Clipperton. Un atoll inhabité mais français depuis 1931 − après contestations par les Mexicains −, code postal 98 799, nom La Passion-Clipperton (ça ne s'invente pas), perdu quelque part dans l'océan Pacifique, et rattaché à la Polynésie française. 8 km2 dont 2 émergés. L'intérêt ? Plus aucune ressource, mais une présence dans une zone géostratégique, avec 435 000 km2 d'eaux territoriales. Le dossier dépend du Premier ministre et suscite parfois des débats, qu'Irma Pelatan retranscrit scrupuleusement.

Car elle a mis son projet à exécution : ses lettres sont bien parties, longues ou brèves, sages ou échevelées, à un destinataire inconnu qu'elle appelle toujours « Cher ami », mais seulement du 16 mai au 26 septembre 2017. Notre oulipienne s'était imposé une contrainte supplémentaire, dirimante : toutes les missives devaient être écrites avec le même crayon à papier jaune de 23,5 cm de long. Lequel, en dépit d'économies drastiques, s'est épuisé plus vite que prévu. Mais le plus drôle de l'histoire, c'est que presque toutes les lettres (sauf trois, perdues), lui sont revenues, avec des mentions aussi péremptoires qu'officielles. Comme quoi, notre service public, si souvent critiqué, fonctionne parfaitement, du moins à 10 000 km de l'Hexagone.

L'histoire du livre, telle que la Sâr Pelatan nous la raconte, est presque aussi loufoque que le livre lui-même, et un petit cahier photo, à la fin, atteste de sa véracité.

Irma Pelatan
Lettres à Clipperton. Une aventure épistolaire
Éditions La Contre-allée
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 21 € ; 224 p.
ISBN: 9782376650720

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