Si la fiction, notamment télévisée, en fait ses choux gras des deux côtés de l’Atlantique, le monde politique - sa violence, ses intrigues -, irrigue curieusement assez peu le champ de la littérature. Comme si le romancier se méfiait du caractère ontologiquement romanesque de cet univers, ne lui laissant paradoxalement pas assez d’espace de liberté. C’est à l’aune de ce rendez-vous raté qu’il faut considérer l’importance et l’audace des deux derniers romans de Marc Dugain, L’emprise (Gallimard, 2014) et celui-ci, Quinquennat, plus noir, plus beau encore que le précédent et qui, s’il en est une suite, peut bien entendu parfaitement se lire indépendamment.
On y retrouvera donc Launay, cet homme qui s’apprête à connaître l’infortune de voir se réaliser son plus ancien et ardent désir : être élu président de la République française. Maniaco-dépressif, mélancolique, réduisant toute relation humaine aux dimensions du conflit, parfaitement désidéologisé, Launay est l’homme de la situation et le produit de son temps. Autour de lui gravitent comme autant de figures du pouvoir, un rival qu’il faudra soumettre ou tuer (ce qui revient au même), le responsable corse du contre-espionnage, quelques journalistes plus valets de cour qu’autre chose, une chargée de communication et du "repos du guerrier", une femme opportunément atteinte de cécité, une fille fuyant ce désastre au Canada et dans les bras d’une Amérindienne (l’autre ayant pris les devants par son suicide)…
Entre Shakespeare et House of cards, Quinquennat offre à Marc Dugain l’opportunité de déployer une folle virtuosité romanesque et d’y poursuivre la "ligne mélodique" de toute son œuvre hantée par les figures du mal.
Olivier Mony