Portrait

Henry Dougier, éditer autrement

Henry Dougier - Photo OLIVIER DION

Henry Dougier, éditer autrement

Depuis près de cinquante ans, le fondateur d'Autrement et des Ateliers Henry Dougier innove dans le monde du livre avec une marque de fabrique qui fait la part belle aux nouveaux formats et aux paroles inédites. Il publie son autobiographie La quête éperdue d'un éditeur impatient le 10 mars. Rencontre.

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Par Cécilia Lacour,
Créé le 08.03.2022 à 13h05 ,
Mis à jour le 07.07.2022 à 10h48

Il se définit comme un « éditeur improbable, boulimique et funambule ». Henry Dougier est aussi « précurseur », « créatif », « fédérateur » et « a mille idées à la seconde », renchérit l'éditrice Gaëlle Bidan, entrée dans le monde du livre par un stage chez Autrement. Il est encore « curieux », « enthousiaste », « aime faire les choses autrement, avec un point de vue décalé », à en croire l'auteur Alain Le Nineze, devenu un proche collaborateur de Henry Dougier. À 86 ans, le fondateur d'Autrement puis des Ateliers qui portent son nom publie son autobiographie La quête éperdue d'un éditeur impatient (Ateliers Henry Dougier, 10 mars).

Né en 1936 à Neuilly-sur-Seine, Henry Dougier poursuit un parcours des plus classiques : collège de Franklin, tenu par des Jésuites, École supérieure des sciences économiques et commerciales (Essec), Institut européen d'administration des affaires (Insead). « J'obéis à tous les codes », note-t-il. En 1959, il entre dans les rangs de la Légion étrangère. Rejoint l'Algérie en guerre. Là, « je sors de mon milieu et je prends confiance en moi ». Il prend surtout goût à la liberté en claquant rapidement la porte de la Légion étrangère. Il rentre à Paris, termine ses études à l'Insead et est recruté par la société énergétique Shell en 1963. Arrive alors mai 1968 dont il « passe complètement à côté » mais qui le rend « sensible à la question sociale ». Alors qu'il « s'ennuie ferme » à la Shell, il démissionne pour rejoindre le groupe L'Expansion où il collabore avec Jean-Louis Servan-Schreiber. « Une fois de plus, j'avais le sentiment de passer à côté de moi-même. »

Liberté de ton

Ne trouvant plus sa place, il quitte tout. Encore. Pointe au chômage pendant un an avant de lancer la revue trimestrielle Autrement. « Ça accroche tout de suite parce que nous avions une liberté de ton et nous donnions la parole à des personnes qui n'étaient pas connues », raconte-t-il, le regard plongé dans ses souvenirs. En 1983, la revue devient maison d'édition. Il développe alors une formule qui deviendra très vite sa marque de fabrique : donner la parole à des personnes qu'on n'entend traditionnellement pas, multiplier les collections (il en a lancé une trentaine entre 1975 et 2011 !) et imaginer des formats inédits.

Les atlas, emblématiques d'Autrement lancés au début des années 1990 et inspirés du monde anglo-saxon, c'est lui. Les premiers mooks, dès 2007, c'est aussi lui. Il se fait connaître dans le monde du livre comme l'éditeur qui a déniché Inconnu à cette adresse de Kathrine Kressmann Taylor (1999), vendu à plus d'un million d'exemplaires. « Je ne suis pas un grand éditeur, je ne suis pas Jérôme Lindon, assure-t-il pourtant, modestement. Je n'ai pas de leçons à donner, j'ai juste suivi mes intuitions. »

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Henry Dougier- Photo OLIVIER DION

 

Et ses intuitions le mènent aussi en dehors du monde du livre. « Je veux faire rêver et donner aux gens envie d'agir. » Il crée alors les Ateliers d'octobre, des séminaires consacrés aux travailleurs sociaux. Invente les boutiques de gestion, « où on forme des travailleurs sociaux à créer leur entité économique », un concept depuis repris par l'État.

S'il se souvient de l'aventure Autrement comme d'une « époque incroyable où j'ai pu faire tout ce que je voulais », il finit malgré tout par se lasser. « Mon impatience est terrible, je m'ennuie vite. » Henry Dougier décide alors de partir, une fois de plus, et de céder Autrement, son « enfant », à Flammarion. « J'étais libre, entièrement libre. » Il ne s'est « jamais perçu comme un éditeur » mais ne sachant « rien faire d'autre », il retourne quand même dans l'édition et fonde les Ateliers Henry Dougier en 2014.

"Mon impatience est terrible, je m'ennuie vite"

Là, il poursuit la même recette : confortablement installé dans son canapé gris, ses yeux s'éclairent à l'évocation de ses nouvelles collections. Soudain, il ne tient plus en place et saisit un titre, puis deux, puis trois sur ses étagères. Alors que les Ateliers Henry Dougier comptent déjà huit collections et plus de 120 titres, l'éditeur en a lancé une nouvelle l'année passée.

Avec la collection « Le roman d'un chef-d'œuvre », il invite les auteurs à conter un moment de la vie d'un peintre à partir d'une de ses œuvres. Il en prévoit une autre pour cette année. En mai, « Autobiographie d'un mythe » passera au crible la vie d'une figure mythique comme Œdipe ou Vénus. Loin d'être une biographie traditionnelle, les récits sont relatés du point de vue de ces figures mythiques ou d'un ou une de leurs proches.

Il compte sur ces deux collections pour « arriver à l'équilibre » avec les Ateliers Henry Dougier, jusqu'ici soutenues par l'argent qu'il a empoché de la cession d'Autrement. « J'aimerais terminer proprement », souligne-t-il. À 86 ans, cet éditeur créatif n'est pas prêt à tourner la page de l'édition et reste inlassablement à l'affût de nouvelles idées. « Mon souhait, mon seul souhait est qu'à l'heure de ma mort, on se retourne sur ce que j'ai fait et que l'on se dise : "Merde, quand même, ce n'était pas si mal, il a pris des risques, il a tenté des choses, ce Dougier..." »

 

Biographie Henry Dougier

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