La Cour d'appel de Paris vient de sanctionner pour concurrence déloyale le groupe Le Figaro au profit de... Prisma presse, Mondadori, Marie-Claire et Condé Nast. En l'occurrence, le contentieux portait sur la publication d'un format pocket de Madame Figaro , vendu un euro, tout au long de la semaine, de manière autonome par rapport au supplément féminin du week-end. La notion de concurrence déloyale existe aussi en librairie. Elle est notamment avancée lorsque l'action en contrefaçon risque d'échouer. Car l'invocation du droit de la propriété littéraire et artistique peut se heurter à certains obstacles. Pour être protégée à ce titre, l'œuvre doit en effet répondre à la condition d'originalité. La jurisprudence détecte l'originalité en recherchant « l'empreinte de la personnalité de l'auteur », c'est-à-dire la mise en œuvre de choix qui ne soient pas dictés par le résultat recherché. En clair, une compilation d'informations selon un critère quasi-scientifique et non artistique (par exemple, la simple liste de tous les restaurants chinois de Paris) n'est pas couverte par le droit d'auteur. Par surcroît, les idées, les concepts, principes, formules et autres méthodes ne bénéficient pas plus de cette protection : la propriété littéraire et artistique s'intéresse aux seules « créations de forme ». Selon les puristes, les idées sont dites « de libre parcours »... En clair, certains produits d'édition peuvent souffrir d'un apparent défaut de protection par la propriété intellectuelle la plus traditionnelle, tout en représentant un investissement suffisamment substantiel pour mériter que le droit s'y intéresse. C'est pourquoi la jurisprudence a progressivement accepté le recours à la notion d'action en concurrence déloyale. La concurrence déloyale repose sur une interprétation de l'article 1382 du Code civil, qui pose les bases de la responsabilité civile la plus classique, s'appuyant sur une faute, un préjudice et un lien de causalité entre cette faute et ce préjudice. Les tribunaux ont donc développé la notion de concurrence déloyale et la divisent désormais en deux branches bien distinctes. Ils sanctionnent en premier lieu la confusion : un industriel cherche à tromper ; même grossièrement, le consommateur moyen, dont l'attention ou le Q.I. sont supposés être mis à l'épreuve par la richesse des linéaires et l'abondance des piles, qui le font prendre un livre pour un autre. L'imitation d'une couverture ou d'un titre de collection, par ailleurs relativement anodins mais attirant une clientèle presque captive, relève de ce cas de figure. Le pillage d'une œuvre non protégée par le droit d'auteur, sans pour autant qu'il y ait risque de confusion dans l'esprit du public, est désigné juridiquement sous le terme de parasitisme. Il s'agit par exemple, de l'emprunt systématique de données ou de l'imitation d'un concept de collection. Le parasitisme peut encore s'exercer par la reprise d'illustrations ou encore par celle d'une banale composition typographique. Ce qui est réprimé, c'est donc le fait de dispenser sans vergogne d'un investissement en temps, en travail, en argent, en marketing, en promotion, etc. L'économie réalisée permet en effet au concurrent de s'inscrire déloyalement dans le sillage de son prédécesseur. Il est possible d'agir en contrefaçon et parallèlement en concurrence déloyale, si des agissements litigieux distincts sont décelables. Rappelons également que la loi du 1 er juillet 1998 sur les bases de données, aujourd'hui transposée dans le Code de la propriété intellectuelle, permet de mieux agir encore contre le pillage d'informations, là où le droit d'auteur traditionnel faillit. Dans un procès en concurrence déloyale, toute la difficulté pour les magistrats va consister à distinguer la mode ou les passages obligés de tel ou tel genre de livres de ce qui relève d'un véritable apport de l'éditeur. Il s'agit d'éviter en effet que le marché d'un nouveau type d'ouvrages - guide touristique, cahier de vacances, ... - soit réservé à une seule maison, sans pour autant que son travail de défrichage lui fasse payer les pots cassés en laissant ses concurrents recueillir le jus qui s'en écoule.