La Grande Librairie est-elle toujours, d'après vous, l'une des émissions les plus puissantes en termes de prescription de livres depuis votre arrivée en septembre 2022 - en remplacement de François Busnel, qui présentait l'émission depuis quatorze ans ?
La Grande Librairie est un pari de France Télévisions. C'est la seule émission au monde entièrement dédiée à la littérature sur une chaîne de service public en prime time. Son importance est évidente.
Ce qui compte pour moi, depuis toujours, ce n'est pas l'audience. Je considère que le journaliste doit se protéger de cela car, si on s'y attache trop, on ne fait pas de bonnes émissions. Or mon travail, c'est de faire la meilleure émission possible.Pour autant, j'ai une responsabilité. Avec mon équipe, on a fait deux belles saisons. La dernière était encore meilleure puisque les audiences ont augmenté de 70 000 téléspectateurs par rapport à la première. On tourne autour de 450 000 téléspectateurs par émission, ce qui est très bien pour une émission littéraire.
Ce qui compte davantage, c'est l'impact. Je suis très curieux de découvrir avec votre papier [lire pages suivantes, ndlr] si La Grande Librairie reste, comme je le pense et comme je l'espère, un média de prescription.
Parmi les personnes que nous avons interrogées, certaines pensent que votre impact sur les ventes est peut-être moins fort car vous prenez plus de risques que votre prédécesseur. Avez-vous une mission de « défricheur » ?
Le vrai défricheur, c'est le libraire. Nous, on passe après. Dans La Grande Librairie, il y aura toujours une tête d'affiche et une découverte. Quand je suis arrivé, je me souviens, je me demandais pourquoi Amélie Nothomb était invitée chaque année. En fait, ça fait plaisir aux gens, c'est tout ! C'est important de s'adresser à toute la France. Mais ce qu'il y aura toujours aussi, c'est au moins un grand roman. Là, c'est le plaisir du lecteur qui parle. Moi, j'adore être emporté par un roman. Par exemple, pour la première de La Grande Librairie en septembre, je voulais que Miguel Bonnefoy soit présent, parce que son nouveau livre a été pour moi une joie incroyable.
Je n'ai pas l'impression de défricher, mais les nouvelles voix sont importantes à mes yeux. C'est peut-être la couleur que j'apporte. Dans ce domaine, la résonance d'un livre avant son passage dans mon émission m'importe peu. Pourquoi ? Justement parce que La Grande Librairie a encore un immense pouvoir de prescription. Je m'en rends compte quand un primo-romancier comme Denis Infante sort un livre, Rousse, tiré à 1 500 exemplaires aux Éditions Tristram et qu'il en vend finalement 15 000. Je m'en rends compte quand le succès de l'été, c'est Le Barman du Ritz de Philippe Collin, qu'on a reçu en majesté. Ou encore quand Alain Damasio est invité et que la maison d'édition réimprime immédiatement 20 000 exemplaires. Un passage à La Grande Librairie, ça donne toujours quelque chose d'extraordinaire pour un livre, quel qu'il soit. Ce n'est pas moi qui ai construit cela, c'est François Busnel, et c'est aussi une dynamique médiatique qui nous échappe. Le public de cette émission, depuis des années, est un public qui lit et achète des livres en librairie. Voilà tout.
Ce qu'on observe dans notre enquête, c'est que le nom d'« Augustin Trapenard », dans l'esprit des gens, n'est pas toujours rattaché à une émission en particulier. Il est parfois associé à Instagram, où vous développez aussi votre influence. Est-ce aussi la « couleur » que vous apportez ?
Je pense que la prescription fonctionne si elle repose sur la sincérité. C'est parce que je suis sincèrement passionné que je développe en effet, pour le plaisir, un rendez-vous sur Instagram, le Book Club, tous les dimanches à 18 heures. Ce qui me tenait à cœur en arrivant dans l'émission, c'était de développer une Grande Librairie à 360° avec la perspective de la rendre contemporaine dans son traitement. J'ai voulu que l'émission se fortifie sur les réseaux sociaux : Instagram, Facebook et même TikTok, où elle a fait son apparition et où elle marche très bien. J'ai construit des séquences exclusives, découpables, viralisables - séquences de lecture, de musique... - qui correspondent aux types de contenus que l'on consomme sur le Web aujourd'hui.
Comme je le disais, tout cela part d'une curiosité sincère pour les nouvelles façons de consommer des contenus littéraires - notamment sur TikTok, pour les plus jeunes. Cette curiosité m'amène aussi à faire évoluer ma programmation en y intégrant le manga - avec l'invitation d'Hajime Isayama, l'auteur de L'Attaque des Titans, par exemple -, la romance et les littératures de l'imaginaire - j'ai invité Victor Dixen, Mélissa Da Costa... Ces littératures sont souvent méprisées par les médias traditionnels, alors qu'elles sont plébiscitées sur les réseaux sociaux. Moi, mon boulot, ce n'est pas d'établir le tribunal du bon goût de Saint-Germain-des-Prés, mais de créer un espace commun et de faire en sorte que tout le monde puisse s'y retrouver, aussi bien dans ma façon de filmer ces séquences que dans mon choix de programmation.
Qu'est-ce qui, d'après vous, assure la viralité des séquences sur le Web ? Avant, à la télé, on aimait bien les bagarres... Aujourd'hui, comment rendre la littérature télégénique ?
Déjà, pour moi, quand on reçoit des écrivains, on peut se permettre de leur demander ce qu'ils savent faire le mieux, c'est-à-dire créer - au lieu de simplement gloser leur travail. C'est ce qui m'amenait à donner une carte blanche à mes invités sur France Inter et c'est ce qui m'amène aujourd'hui à inventer la séquence qu'on appelle Droit dans les yeux, un face caméra qui conclut chaque émission.
Ce qui favorise la viralité, c'est le fait que ces séquences sont tournées en direct, mais préparées à l'avance. Le direct suscite une certaine appréhension. Les écrivains sont parfois tétanisés. Mais ça peut être très beau, ce tremblement. Et surtout cette tension entre la fébrilité de l'écrivain, le risque de trébucher, et la lecture d'une création préparée à l'avance.
Attaquer un livre ne m'intéresse pas. Pour autant, avec Emmanuel Perreau, mon producteur éditorial, nous aimons beaucoup le débat d'idées. Et il arrive qu'à La Grande Librairie je mette deux personnalités face à face et qu'il se passe quelque chose. Quand l'écrivain ukrainien Andreï Kourkov rencontre l'Académicien franco-russe Andreï Makine [émission du 20 mars 2023, ndlr], pour moi, c'est un moment de télévision hallucinant. Quand l'autrice libanaise Dominique Eddé dialogue avec la rabbine Delphine Horvilleur [émission du 13 mars 2024, nldr] et qu'elles arrivent à se retrouver, même si le dialogue est difficile, autour d'un poème de l'écrivain palestinien Mahmoud Darwich, il y a une surprise, même pour moi. Et c'est comme cela qu'on crée du rythme et une émission dans laquelle on ne s'ennuie jamais.
Quelles sont vos sources de prescription à vous ?
Je travaille avec une équipe formidable, qui m'influence perpétuellement. J'ai fait le pari de ne plus répondre directement aux services de presse des éditeurs, parce que c'est trop dur pour tout le monde. Mais il m'arrive d'être très sensible quand je sens l'excitation de lecture dans les yeux de quelqu'un. Ça peut être mon libraire de quartier, ou encore une personne qui participe ponctuellement à mon Book Club sur Instagram. Je pense au livre de Phœbe Hadjimarkos Clarke, que j'ai découvert ainsi.
Quand on fait ce métier, on lit les livres très en amont de leur sortie. Mais j'aime attendre le plus tard possible avant de programmer. D'abord parce que l'actualité peut changer. Et que La Grande Librairie doit se nourrir de ce qui se passe dans le monde. Mais aussi parce que j'aime choisir des livres auxquels je repense des semaines après la lecture. Pour moi, c'est ça, la littérature. Ce sont les livres qui questionnent et qui restent. C'est ce qui m'est arrivé avec le livre d'Éric Chacour, par exemple, que j'ai porté avec sincérité. Ma plus grande angoisse, d'ailleurs, c'est d'oublier les textes qui m'ont plu ou remué. C'est pour ça que je les écris sur moi ! [Il fait référence à ses tatouages, ndlr.] L
BIO
Normalien, agrégé d'anglais, Augustin Trapenard est journaliste et intervieweur littéraire. Il a notamment produit et animé Le Carnet d'or sur France Culture et Boomerang, pendant 8 saisons, sur France Inter. Après un passage chez Brut et de nombreuses années sur Canal+, où il était notamment aux manettes de l'émission littéraire 21 cm, il présente, depuis septembre 2022, La Grande Librairie sur France 5 chaque mercredi soir. Il est aussi depuis six ans le parrain de l'ONG Bibliothèques sans frontières, qui facilite l'accès à la culture, l'éducation et l'information en France et dans le monde.
Les frontières mouvantes de la prescription
Les copains d'abord : ce sont encore et toujours eux qu'on écoute le plus quand il s'agit de choisir son prochain livre. Mais qu'en est-il à l'heure où les réseaux sociaux donnent cette illusion de proximité généralisée ? Les médias traditionnels ont-ils encore voix au chapitre ? Et comment suivre les comptes ? Décryptage.
"Le vrai défricheur, ce n'est pas moi. C'est d'abord le libraire. Les journalistes viennent ensuite » , nous dit Augustin Trapenard qui, pour la deuxième saison de sa Grande Librairie sur France 5, figure à nouveau parmi les critiques littéraires les plus influents de la rentrée. Son diagnostic est pourtant juste. D'après les réponses au questionnaire que nous avons adressé cet été à nos lecteurs et lectrices, professionnels ou non de l'édition, pour savoir quelles étaient leurs sources préférées de prescription littéraire, son nom continue d'être très cité. Mais avant lui, c'est le conseil d'amis et d'amies qui est la source privilégiée. La recommandation de libraires arrive juste après. Les critiques littéraires des médias traditionnels - télé, radio, presse écrite - viennent ensuite, et les réseaux sociaux - dont l'influence est pourtant croissante - arrivent en dernier dans ces déclarations (voir nos résultats, page 56).
Quand notre PAF fait BOUM
Pourtant, comme Augustin Trapenard le souligne lui-même, certaines « bombes » éditoriales récentes ont bel et bien explosé grâce à l'étincelle - toujours vive - de la radio et de la télévision. C'est le cas de Son odeur après la pluie de Cédric Sapin-Defour (Stock), tiré à 4 300 exemplaires en mars 2023 et réimprimé à ce jour à 422 000 exemplaires - l'un des livres les plus vendus de l'année. « Dès le départ, se rappelle Charlotte Brossier, directrice de la coordination commerciale chez Stock, le roman a séduit les représentants et les libraires. La presse écrite a ensuite créé une seconde chambre d'écho. Et la bascule a vraiment eu lieu lorsque l'auteur a été invité à La Matinale de Léa Salamé sur France Inter, juste après deux recommandations de critiques, eux aussi très prescripteurs : Olivia de Lamberterie dans Télématin et Bernard Lehut sur RTL. » Chez Tristram, une petite maison dirigée à Auch par le tandem Sylvie Martigny et Jean-Hubert Gailliot, habitué à éditer très peu mais avec soin, c'est à La Grande Librairie que le miracle s'est produit - dans sa partie la plus visible. « En janvier 2024, lorsque nous avons publié Rousse, l'histoire d'une renarde écrite dans un style très singulier - heureux sur le plan littéraire, mais risqué d'un point de vue commercial - par un primo-romancier de 70 ans, Denis Infante, nous parlions d'un coup de dé. » Mis en place à 1 300 exemplaires, le livre a été réimprimé une première fois parce qu'il enthousiasmait les libraires. Au lendemain du passage de Denis Infante chez Augustin Trapenard, une réimpression à 10 000 exemplaires a été lancée et « la situation s'est enflammée » , sourient les éditeurs. À ce jour, Rousse a conquis plus de 17 000 lecteurs et lectrices. « Pour qu'une telle flambée se produise de nos jours, il faut une conjonction de plusieurs phénomènes. L'impact de La Grande Librairie a été indéniable. Mais la même émission autour d'un livre qui n'aurait pas été apprécié par les libraires aurait eu des conséquences moins durables et moins impressionnantes ! »
D'après Lola Nicolle, cofondatrice des Avrils, « le passage d'un auteur à La Grande Librairie multiplie aujourd'hui les ventes d'un livre par trois (approximativement) le mois qui suit. Mais pour que cela s'installe sur la durée et engendre un vrai succès, on ne peut plus se contenter de cela, comme à l'époque de Pivot. Il faut désormais tout avoir : l'enthousiasme des libraires, de la presse écrite, des radios, des émissions de télé et des réseaux sociaux... C'est l'effet "alignement des planètes" qui impacte les ventes. » Aux éditions La Découverte, Carole Lozano confirme ce mécanisme : « L'essai très remarqué d'Alice Raybaud intitulé Nos puissantes amitiés avait déjà été applaudi par les librairies et par des médias classiques et importants comme Elle, Le Monde, L'Obs, Causette... Mais le soutien de nouveaux prescripteurs du web comme Salomé Saqué sur Blast ou le média vidéo féministe Simone Media a beaucoup compté et a relancé une dynamique forte autour de ce titre. »
Les réseaux sociaux - Instagram, -YouTube, TikTok - peuvent-ils changer le destin d'un livre ? D'après Louis Wiart, docteur en sciences de l'information-communication et auteur d'une thèse sur la Prescription littéraire en réseaux (Presses de l'enssib), « le fait que les lecteurs et lectrices privilégient les conseils de leurs pairs, notamment via des systèmes de recommandation horizontale sur le web - blogs, forums littéraires ou encore systèmes de notations sur les sites de ventes - n'est pas nouveau. » C'est d'ailleurs ce qui a inspiré la création, dès 2007, du réseau de lecteurs amateurs Babelio.com. Son cofondateur, Pierre Frémaux, confirme qu'il n'a rien inventé : « Nous n'avons fait que transférer en ligne ce qui a toujours été la première source de prescription pour le livre, à savoir le bouche-à-oreille. » D'après les réponses à notre questionnaire, le conseil d'amis et amies demeure, en effet, la source privilégiée pour choisir ses lectures. Ce qui est plus récent, ajoute Louis Wiart, « c'est le fait qu'un réseau social d'ampleur comme TikTok joue un tel rôle, notamment auprès des jeunes, dans l'amplification des ventes de livres. Et que les maisons d'édition s'organisent pour que cette force de vente leur échappe un peu moins. » C'est en effet la mission à laquelle s'attellent des éditeurs qui se sentent « boudés » par la presse, comme, par exemple, les maisons d'édition de livres de poche ou de littérature de genre.
Il est venu le temps de TikTok ?
Chez Pocket, Élodie Lefebvre, directrice marketing adjointe, a senti le vent tourner au début de l'année 2021 lorsque des phénomènes TikTok ont propulsé brutalement, de façon imprévisible, les ventes de deux livres de leur catalogue : « Une vidéo sur TikTok a multiplié par dix les ventes d'un livre paru six ans plus tôt, Le chant d'Achille de Madeline Miller. Une autre vidéo autour du livre Lait et miel, paru trois ans plus tôt, a multiplié par deux les ventes de tous les livres de la poétesse Rupi Kaur. » À partir de là, elle a organisé le service marketing de Pocket pour anticiper, voire activer ce type de phénomène en proposant aux influenceurs de promouvoir les livres sous la forme de partenariats rémunérés. Chez BMR, la maison consacrée à la romance chez Hachette, Marie Legrand a toujours su qu'elle ne pouvait pas compter sur la presse traditionnelle, qui ne traite presque jamais les littératures de genre dont elle s'occupe. « Mes meilleures ventes reposent sur les prescriptions de lecteurs et de lectrices sur les réseaux sociaux. Le cas le plus frappant est Captive, la trilogie de Sarah Rivens dont le premier tome a atteint les 200 000 ventes. »
Les journalistes littéraires devront-ils bientôt adopter l'art et la manière de prescrire des influenceurs sur les #Bookstagram et #Booktok pour ne pas disparaître ? D'après notre questionnaire, ce n'est pas d'actualité. Les libraires confirment d'ailleurs que les médias traditionnels influencent toujours les lecteurs, puisqu'un grand nombre d'entre eux continue de citer les émissions passées la veille à la radio, à la télévision ou de montrer des pages de magazines cornées pour indiquer le livre qu'ils veulent acheter. Néanmoins, certains créateurs de contenus sur les réseaux sociaux assurent que leur influence est de plus en plus tangible auprès du monde journalistique dans la façon de parler des livres mais aussi dans le choix des titres à mettre en avant. « C'est moi qui ai conseillé à -Augustin Trapenard de lire Victor Dixen et de l'inviter dans son émission », affirme Audrey -Tribot, la youtubeuse la plus souvent mentionnée dans notre questionnaire. « C'est la première fois qu'un écrivain young adult est invité dans une émission littéraire, aux côtés d'auteurs de littérature générale ! »
Que concoctent alors ces nouveaux prescripteurs en termes de tendances littéraires ? D'après Marion Escudé, éditrice et créatrice de contenus très suivie sur TikTok et Instagram, c'est sur les groupes de discussion privée comme Telegram qu'il faut chercher la réponse. D'après elle, « les influenceurs vieillissent et leur conscience politique s'éveille ! Leur passion pour la romance et les littératures de genre ne s'éteint pas, mais leur curiosité se tourne de plus en plus vers des essais engagés, militants, dont ils préfèrent parler entre eux, à l'abri des regards intéressés... C'est dans un deuxième temps qu'ils dévoilent leurs coups de cœur publiquement, de façon encore plus imprévisible et soudaine qu'avant. » Les groupes de discussion privée intégreront-ils nos prochaines enquêtes sur la prescription littéraire, aux côtés de la télévision, de la radio, des journaux et d'Internet ? La question se posera peut-être bientôt, dans la limite de ce que le droit autorise.
Prescription : rien ne vaut les libraires
Les professionnels du livre prennent-ils davantage en compte le rôle des libraires dans la prescription ? « Il était temps ! », plaisante la célèbre Marie-Rose Guarniéri, fondatrice de la Librairie des Abbesses, à Paris (XVIIIe). « Il y a plus de dix ans, le savoir-faire et l'impact des libraires n'étaient pas reconnus par les éditeurs. Depuis, nous avons prouvé que nous n'étions pas de simples points de vente mais des experts, à l'origine de succès inattendus. Aujourd'hui, on devient libraire par vocation, pour sortir de la "dictature des best-sellers", affirmer une vraie ligne éditoriale. Les clients y sont sensibles et nous demandent conseil, surtout dans une librairie de quartier comme la nôtre, qui connaît bien sa clientèle. »
Au-delà du quartier, cette progression se révèle tout aussi tangible. Pour -Guillaume Leroux, directeur opérationnel du groupe Charlemagne dans le Var, elle s'est accélérée suite aux confinements. « C'est une période qui a mis les libraires en valeur. Dans nos librairies, nous mettons en avant leurs coups de cœur par le biais de petits mots écrits à la main. On organise plusieurs soirées par an pour parler des livres qu'on aime avec nos clients. »
Les journalistes ont-ils encore leur place dans ce système ? Incontestablement. Tous les libraires interrogés l'affirment : pas une journée ne passe sans qu'un client arrive avec une coupure de presse (Libé, Le Monde, Télérama...) pour indiquer le livre qu'il cherche. « C'est fréquent chez les personnes plus âgées, précisent les libraires des Nouveautés, à Paris (Xe). Mais aussi chez les plus jeunes. À partir de 8 ans, les enfants arrivent avec leur revue J'aime lire et nous montrent la page qu'ils ont cornée. » Chez Marie-Rose Guarniéri, la revue de presse reste un rituel incontournable. « Je lis Le -Parisien, Libé, Le Monde, L'Obs, les féminins, j'écoute les matinales de radio, les émissions de télé... On passe notre temps à chercher le livre qui nous aurait échappé. » À Chartres, la responsable de la librairie L'Esperluète, Gersende -Guingouain, constitue sa table de recommandations avant que les journalistes ne publient leurs sélections. « Il arrive que la presse s'emballe sur le même livre que moi. C'est le cas de Pour Britney de Louise -Chennevière (P.O.L) en ce moment. Mais il arrive aussi que je conseille un livre passé sous les radars, comme Le Buzuk de Marie Kelbert (Viviane Hamy). Les clients nous font confiance. »
Et les réseaux sociaux dans tout cela ? Les lecteurs et lectrices d'Instagram et de TikTok commencent-ils à influencer les libraires dans leurs choix de commandes et de livres à mettre en avant ? À Rouen, Edith Bravard, fondatrice de la librairie L'Encre du cœur, entièrement dédiée à la romance, se sent moins influençable qu'influenceuse. Suivie par plusieurs milliers d'abonnés, elle accueille une clientèle qui a, pour la quasi-totalité, connu son existence sur les réseaux sociaux. « Mes meilleures ventes sont mes prescriptions. Lorsque j'indique en story que j'ai apprécié telle lecture, je suis souvent dévalisée et en rupture de stocks les jours suivants. » Les papiers volants d'hier sont-ils remplacés par les comptes TikTok de libraires ? Pas encore, mais les premiers des prescripteurs pourraient bien devenir les premiers des influenceurs. L