Ils étaient en guerre ouverte : ils ne le sont plus. Sur quoi s’opposaient-ils ? On ne le sait pas précisément. En quoi consiste leur accord ? On n’en sait pas beaucoup plus. Pourquoi a-t-il fallu tant de temps pour y parvenir ? Mystère. Tel est le bilan du conflit qui a opposé pendant au moins huit mois, dont six sur la place publique, Amazon à Hachette Book Group, la filiale américaine d’Hachette Livre (1). Au cœur du patrimoine génétique d’Amazon, l’opacité qui masque les enjeux de ses négociations avec les grands groupes d’édition américains a été confortée par l’accord imposé en 2012 aux éditeurs par le Department of Justice (Doj, ministère de la Justice), qui leur reprochait une "entente" sur le prix des livres numériques. Aujourd’hui, ni Hachette, ni Simon & Schuster, qui a signé avec Amazon trois semaines plus tôt, ni aucun éditeur américain ne peut révéler quoi que ce soit sur sa stratégie vis-à-vis d’Amazon s’il ne veut pas être accusé de fausser le jeu de la concurrence. D’autant que d’autres négociations sont en cours ou à venir entre Amazon et HarperCollins ou Macmillan.
D’après les déclarations calibrées d’Amazon et d’Hachette, comme d’après celles tout aussi millimétrées du cybermarchand et de Simon & Schuster le 20 octobre, les deux grands groupes d’édition ont chacun renégocié avec Amazon un contrat pluriannuel portant sur les livres physiques comme sur les livres numériques. Pour la commercialisation des livres numériques, ils ont remporté l’un et l’autre une victoire symbolique majeure en préservant leur droit exclusif à la fixation des prix publics dans le cadre de l’agency model (contrat de mandat), qui introduit pour la première fois aux Etats-Unis une forme de prix unique du livre même s’il est réservé pour l’instant au livre numérique. Amazon a cependant prévu des "incitations financières" pour convaincre les éditeurs de casser le plus souvent possible les prix de leurs ebooks. Le reste - règles de fixation des prix, nature des incitations financières, répartition des revenus entre le cybermarchand, les éditeurs et les auteurs… - relève du non-dit. Il en va de même pour de multiples autres questions soulevées aux Etats-Unis et ailleurs dans le monde depuis le 9 mai, quand le conflit a éclaté au grand jour.
Intimidation
Car en décidant, au printemps dernier, de stopper les précommandes, de multiplier les ruptures de stock et d’allonger les délais de livraison pour les livres d’Hachette Book Group, Amazon a décuplé les inquiétudes des éditeurs et des auteurs troublés par la position acquise par le libraire en ligne - un gros tiers de l’activité, et même deux tiers sur le segment des livres numériques. Lancés cet été, la pétition et le mouvement Authors United ont largement mobilisé les auteurs américains tout en suscitant des initiatives analogues en Allemagne. De manière symptomatique, son initiateur, Douglas Preston, tout en se disant "soulagé qu’Hachette et Amazon soient parvenus à un accord", a estimé "illusoire de penser que le chapitre était clos". Il a confirmé qu’Authors United allait "demander au ministère de la Justice une enquête sur les pratiques anticoncurrentielles d’Amazon". Principal problème, selon lui : "Une compagnie qui détient plus de la moitié du marché du livre a démontré un comportement d’intimidation impitoyable".
(1) Voir "Le bras de fer qui secoue l’édition mondiale", LH 1001, du 6.6.2014, p. 12-15, et, sur Livreshebdo.fr, notre dossier "Amazon-Hachette : le récit d’un bras de fer".
(2) "Comment Amazon a conquis le monde", LH 1005, du 4.7.2014, p. 12-15.