Parmi les centres névralgiques de l'édition, Barcelone se distingue comme le berceau des livres et auteurs bilingues : le catalan et l'espagnol. Barcelone ayant été choisie comme invitée d'honneur du Salon international du livre de Guadalajara (du 29 novembre au 7 décembre) cette année, le secteur éditorial catalan sera à l'honneur lors du plus grand salon du livre du monde hispanophone.
Cette année, des dizaines d'auteurs catalans, dont l'auteure pour enfants Rocio Bonilla, et Bel Olid, ancienne présidente de l'Association des écrivains de langue catalane, se rendront à Guadalajara avec la délégation de Barcelone. Ils seront accompagnés d'un certain nombre d'écrivains hispanophones, tels que le romancier Javier Cercas et le journaliste littéraire Álvaro Colomer, ainsi que l'auteur irlandais Colm Tóibín, dont l'ode à la ville, Homage to Barcelona, publiée en 1990, a récemment été rééditée par Picador au Royaume-Uni.
« Le marché catalan est stable, solide et bénéficie d'une longue tradition », indique María Lynch, directrice de l'agence littéraire Casanovas and Lynch, basée à Barcelone et qui représente les étoiles montantes Jordi Nopca et Anna Pazos, ainsi que les héritiers de géants de la littérature tels que Llorenç Villalonga et Mercè Rodoreda, dont la nouvelle Le bonheur, publiée en 1958, est à l'origine de la devise de la FIL cette année : « Les fleurs viendront ».
Investir dans le catalan
Ces dernières années, María Lynch a constaté que le catalan a connu un regain d'intérêt tant au niveau local qu'à l'étranger. Selon l'Association des libraires catalans, les ventes de livres en catalan représentent 30 % du marché global en Espagne, ce qui correspond à un chiffre d'affaires de 1,2 milliard d'euros pour 2024. Ceci alors que la population de la Catalogne, région autonome, ne représente que 15 % des quelque 50 millions d'habitants que compte l'Espagne. « Dans certains cas, ajoute María Lynch, la traduction en catalan d'un livre d'un auteur étranger peut se vendre mieux que l'édition espagnole. »
En conséquence, investir dans le catalan a été une stratégie de croissance pour les deux plus grands éditeurs espagnols, Planeta et Penguin Random House Grupo Editorial (PRHGE), tous deux basés à Barcelone. Depuis quelques années, ces sociétés se livrent une forte concurrence pour acquérir des maisons d'édition catalanes. En juillet, Planeta a racheté Perescopi, une importante maison d'édition indépendante. Perescopi rejoint Grup 62, la division de Planeta chargée de l'édition en langue catalane, qui supervise 16 maisons d'édition. Ensemble, Grup 62 représente un tiers des ventes de livres catalans en Espagne.
« Trois indicateurs témoignent du succès récent de l'édition catalane », précise Emili Rosale, directeur éditorial du Grup 62. « Le pourcentage important de titres traduits à partir d'autres langues ; le nombre croissant d'œuvres écrites en catalan qui sont traduites dans d'autres langues ; et la communauté dynamique d'éditeurs que nous avons à Barcelone, qui publie régulièrement des livres excellents et socialement pertinents. »
Une nouvelle reconnaissance
De son côté, PRHGE a acquis l'éditeur indépendant La Campana en 2019, puis, deux ans plus tard, La Magrana, la filiale catalane de la maison d'édition espagnole RBA Group. Lors de l'annonce de ces deux acquisitions, Núria Cabutí, PDG de PRHGE, a évoqué les efforts stratégiques déployés par l'entreprise pour étendre et renforcer sa présence sur le marché catalan.
Cette stratégie a rapidement porté ses fruits. En 2022, La Campana, propriété de PRHGE, a publié Les calces al sol, le premier roman à succès de Regina Rodríguez Sirvent, une autre autrice de langue catalane qui se rendra à Guadalajara cette année. Le livre, qui suit une femme de Barcelone qui se rend à Atlanta pour travailler comme fille au pair, s'est vendu à plus de 100 000 exemplaires en catalan et 20 000 en espagnol. Les droits de traduction ont été vendus par l'agent de Rodríguez, MB Literary, dans six régions à ce jour, dont aux États-Unis à Alexandra Torrealba chez Amazon Crossing, qui publiera le roman le 20 janvier 2026 sous le titre Singing to the Sun, traduit par Beth Fowler.
Le fait que la branche édition du géant de la distribution commande des traductions d'œuvres de fiction catalanes – l'un des auteurs à succès du Grup 62, Xavier Bosch, est également publié par Amazon Crossing – surprendrait sans doute les fondateurs de maisons d'édition telles que La Campana et La Magrana, qui ont dû faire face à des obstacles considérables tout au long de leur histoire.
Sous la dictature de Francisco Franco, qui a régné de 1939 à 1975, le catalan était une langue restreinte, explique Laura Vilardell, professeure à la Northern Illinois University et autrice de Books Against Tyranny: Catalan Publishers Under Franco. Le gouvernement de Franco, explique-t-elle, a décrété que l'espagnol serait la seule langue officielle du pays, supprimant non seulement le catalan, mais aussi le galicien et le basque. De nombreux éditeurs catalans ont été créés par « des jeunes qui voulaient défendre leur langue et leur culture au sein d'un régime qu'ils jugeaient hostile à leurs égards », ajoute Laura Vilardell, citant notamment La Magrana, fondée en 1975.
Une ascension progressive
Alors que les ventes de livres en catalan ont explosé pour Planeta et PRHGE ces dernières années, de nombreux éditeurs indépendants ont connu des difficultés. En juin, Raig Verd, qui publie à la fois en catalan et en espagnol, a lancé une campagne pour les abonnés après avoir annoncé une baisse de 30 % de ses ventes et la fermeture de sa collection jeunesse.
« L'avalanche de publications ces dernières années rend difficile pour les lecteurs de découvrir nos livres », écrit Raig Verd dans le communiqué annonçant la campagne d'abonnement. L'éditeur, dirigé par l'écrivaine et éditrice Laura Huerga, a également imputé la responsabilité de ces changements aux algorithmes des réseaux sociaux, qui ont réduit la visibilité des publications de l'éditeur promouvant des livres sur des thèmes tels que le féminisme, la lutte contre le racisme et le changement climatique.
« Les éditeurs indépendants sont plus vulnérables, mais nous avons aussi plus de flexibilité pour prendre des risques », déclare Eugènia Broggi, fondatrice de L'Altra Editorial, dans une interview accordée au journal barcelonais La Vanguardia. L'année dernière, Irene Pujadas, autrice chez L'Altra qui se rendra également à Guadalajara, est devenue la première écrivaine catalane à publier une œuvre de fiction dans The New Yorker, traduite par Julia Sanches.
« Nous sommes toujours dans une situation précaire », précise de son côté Rosa Rey, rédactrice en chef de la petite maison d'édition Angle Editorial, au journal La Vanguardia. « Sant Jordi s'est un peu mieux passé pour nous cette année, mais ce n'est toujours pas génial », a-t-elle déclaré, faisant référence à la fête catalane — où l'on échange traditionnellement des livres et des roses entre proches — sur laquelle les éditeurs comptent pour boucler leur budget. Lors du Sant Jordi de cette année, qui s'est tenu le 23 avril, plus de 2 millions de livres ont été vendus en Catalogne, pour un chiffre d'affaires record de 25 millions d'euros.
Visibilité renforcée
L'Institut Ramon Llull, basé à Barcelone, est l'un des principaux défenseurs des éditeurs catalans de toutes tailles. Il s'agit d'un organisme financé par le gouvernement qui promeut la langue et la culture catalanes à l'étranger et offre des subventions aux éditeurs internationaux tout au long de l'année. Ces subventions sont accordées pour couvrir les frais de traduction et de promotion, dans le but d'élargir le public des auteurs catalans.
Ramon Llull, nommé d'après le philosophe du XIIIe siècle dont les écrits ont donné de la crédibilité à la langue, joue également un rôle important dans la mise en relation des éditeurs américains avec les talents catalans. En 2018, Ethan Nosowsky, directeur éditorial de Graywolf, a participé à la bourse de l'Institut Ramon Llull, qui accueille chaque année en septembre des éditeurs internationaux pendant une semaine à Barcelone. Il y a découvert l'œuvre d'Irene Solà et a rapidement acquis son roman Je chante et la montagne danse. Le livre, qui a remporté le prix annuel de l'éditeur barcelonais Editorial Anagrama pour un roman inédit en langue catalane en 2019, a connu un énorme succès en Espagne, avec près de 100 000 exemplaires vendus en catalan et 65 000 en espagnol. Le prix Anagrama, lancé en 2016, a révélé de nombreuses stars littéraires, dont Pol Guasch, dont le premier roman a remporté le prix en 2021 et a été publié l'année dernière aux États-Unis par FSG, également dans une traduction de Lethem.
De retour aux États-Unis, Je chante et la montagne danse a été finaliste du National Book Critics Circle Award 2022 et s'est vendu à environ 10 000 exemplaires, selon Bookscan. Cette année, Graywolf a publié un autre roman d'Irène Solà, Je t'ai donné des yeux et tu as regardé les ténèbres, finaliste du prix Cercador décerné par des libraires indépendants, et prévoit d'en publier un troisième, son premier roman Els dics, initialement publié par L'Altra en 2018.
Anagrama, la maison d'édition qui a lancé la carrière d'Irène Solà, n'a commencé son programme d'édition en catalan qu'en 2014, bien qu'elle ait été fondée en 1969. Isabel Obiols, rédactrice en chef qui dirige le programme et supervise les ouvrages non romanesques en espagnol et en catalan chez Anagrama, a déclaré qu'au cours de la dernière décennie, elle avait remarqué une « plus grande visibilité » des auteurs catalans de la maison d'édition, grâce au « travail collectif » des libraires, des agents, des prix littéraires, des résidences et des institutions culturelles. Isabel Obiols ajoute avec fierté : « La littérature catalane occupe une place de plus en plus importante sur la scène internationale. »
Jeremy Wang-Iverson est un publiciste littéraire basé à Barcelone.
Cet article a été initialement publié le 31 octobre 2025 par Publishers Weekly. Traduit par Julia Steiner. Reproduit dans le cadre d'un partenariat avec Publishers Weekly.

