Nous sommes dans l'Aspromonte, ce massif qui surplombe la Calabre, et du sommet duquel on peut apercevoir jusqu'à l'Etna, par-delà le détroit de Messine. C'est un univers rude, difficile d'accès, où l'on peut facilement prendre le maquis, se faire oublier pour échapper aux carabiniers. Ce que feront le narrateur, Nicola, et son meilleur ami Filippo, un temps hébergés par le berger zzu Binu (en dialecte pour zio Bino, « oncle Bino »), après s'être laissés embringuer par la 'Ndrangheta, la redoutable et toute-puissante mafia locale, et avoir participé à un braquage sanglant, puis même tué un homme. Ils finiront par redescendre dans leur village, Africo Nuovo, répondre de leurs actes, et feront de la prison.
Nicola, après son incarcération à Bologne, en 1998, est revenu au pays, où tout avait changé, où les rughe − les bicoques locales où tout le monde connaissait les secrets de tout le monde et vivait en communauté − avaient été remplacées par des HLM. Quant aux habitants, ils s'étaient entretués. Parmi les centaines de victimes, Filippo, et son autre meilleur ami, Antonio. Nicola était revenu aussi pour enterrer sa mère, la vaillante Lidia, qui avait élevé seule ses enfants. Le mari était parti travailler en Allemagne, comme beaucoup de Calabrais, chez Volkswagen à Wolfsburg. Au début, il écrivait et envoyait un peu d'argent. Puis, plus rien. Nicola apprendra qu'il s'est créé une autre famille, qu'il a refait sa vie comme on dit. En attendant, pour offrir à ses enfants, son fils et ses deux sœurs cadettes, leurs plats de pâtes quotidiens, la mère se levait à l'aube, en cachette, pour aller cueillir du jasmin dans les champs. Par fierté, et malgré l'argent facile que gagnait Nicola (cinq millions de lires, quand même, une fortune dans les années 1960-1970), en rendant quelques services aux « malandrins », les mafieux locaux.
Mais, si l'on suit le récit épique et tragique de Gioacchino Criaco, la 'Ndrangheta n'est que la conséquence d'une situation générale désespérante (pauvreté, servitude, illettrisme...), voire d'une malédiction nommée Maligredi, l'avidité criminelle du loup, que les nombreuses fêtes, processions et dévotions aux saints (Sébastien, en particulier), ne conjureront jamais. Le Christ ne s'est pas arrêté à Africo.
La Maligredi Traduit de l’Italien par Serge Quadruppani
Métailié
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 22,50 € ; 384 p.
ISBN: 9791022612067