« Tu as l’âge parfait pour le Goncourt. Plus jeune, c’est dangereux. Plus vieux, ça ne sert à rien ». Voilà ce qu’a soufflé Antoine Gallimard à Gilles Leroy le jour de son Goncourt. C’était l’an dernier, et Gilles Leroy venait d’être récompensé pour Alabama Song , paru au Mercure de France, filiale de Gallimard. On croyait le Goncourt une affaire d’éditeurs, ce serait aussi une affaire d’état-civil ? A cette aune, on s’explique mieux le choix 2008. Atiq Rahimi a 46 ans, soit à peu de chose près l’âge de Gilles Leroy (48 ans et 11 mois au moment de son Goncourt). Michel Le Bris, avec ses 64 ans, pouvait donc aller se rhabiller… Et se consoler : le prix ne lui aurait servi à rien. Plus sérieusement, l’anecdote est extraite d’un long récit de Gilles Leroy, recueilli par Clara Dupont-Monod pour Marianne : « Mon année après le Goncourt ». J’avais détesté Alabama Song , que j’avais trouvé souverainement ennuyeux — et archaïque. Mais dans ces deux pages de Marianne , l’auteur se révèle attachant — et touchant. Il raconte son périple dans les librairies pour des séances de signature qui lui font parfois croiser d’étranges lecteurs fétichistes des prix Goncourt. Explique qu’avant le prix, il était sans le sou, et s’était résigné à vendre sa maison. Qu’après le prix, ayant besoin d’une paire de chaussure, il s’apprête à entrer dans un magasin Bata quand une amie l’engueule : « Tu as le Goncourt ! Claque ton fric chez un grand chausseur ! ». Mais finalement, il entre quand même chez Bata… etc. Et il termine : « Depuis longtemps, je vis comme un ours, loin de Paris. Mon rythme de vie est plutôt monacal. Le Goncourt a été mon tourbillon, pour reprendre une expression fitzgeraldienne. Comme si mon livre avait rattrapé ma vie. » *** Mais revenons au cru 2008. Jérôme Garcin avait-il eu seulement le nez creux ? En tout cas, joli coup pour le cahier culture de l’Obs de jeudi dernier : Ariane Chemin y dressait le portrait sur une pleine page d’Atiq Rahimi, avec ce titre prémonitoire (assorti quand même d’un point d’interrogation) : « Un Afghan prix Goncourt ? ». Accessoirement, on notera aussi que c’est donc P.O.L. qui décroche le Goncourt cette année, pour la première fois de son histoire. Mais défense d’aller plus loin — et de faire remarquer, par exemple, que P.O.L. étant diffusé par Gallimard, c’est la troisième année consécutive que Gallimard « touche » au Goncourt. Pierre Assouline, qui était ce lundi chez Drouant, rapporte sur son blog qu’une confrère, qui s’était risquée à évoquer le sujet devant Bernard Pivot, s’est attiré une volée de bois vert : « Mais vous allez nous fiche la paix avec ces histoires ? lui a répondu Pivot. Qu’est-ce qu’on en a à foutre du diffuseur ? Et pourquoi pas les représentants et les libraires tant qu’on y est ! Incroyable, ça : vous croyez vraiment qu’on vote pour un diffuseur ? Ce qui nous intéresse, c’est le livre. Facile à comprendre, non ? » Facile à comprendre, oui. Facile à admettre, pas forcément… *** Et certainement pas facile à digérer pour Grasset. Auraient-ils perdu la main, rue des Saints-Pères ? A ce stade, on leur conseille deux solutions : soit se procurer une statuette vaudou d’Antoine Gallimard et la cribler de trous d’épingle. Pour un résultat aléatoire — personnellement, j’ai essayé avec Ségolène Royal, mais pour l’instant ça n’a pas marché. Soit faire comme Jean-Pierre Léaud dans Les 400 coups : se construire un petit autel votif, devant lequel brûlerait en permanence une bougie. A ceci près que la photo de Balzac serait remplacée, ici, par une photo de Jean-Claude Fasquelle, et une autre d’Yves Berger. Le résultat n’est pas non plus garanti, mais qui ne tente rien n’a rien. *** « Galligraseuil : on n’en peut plus ! » écrivait dimanche Marie-Laure Delorme, du JDD , dans ses pronostics, laissant du même coup entendre qu’elle aurait préféré voir écartés Del Amo et Michel Le Bris du Goncourt. Pourtant, depuis trois ans, et n’en déplaise à Pivot, c’est plutôt Galli-galli-galli. Ça sonne comme guili-guili-guili, et c’est sûr qu’il y en a que ça doit chatouiller… *** Pour finir en beauté sur les prix de cet automne : le Prix du Meilleur livre étranger, qui fêtait cette année ses 60 ans, a été rebaptisé, du nom de son nouveau sponsor, « Prix du Meilleur livre étranger Hyatt Madeleine ». Il a été décerné, catégorie essai, à Pourquoi êtes-vous pauvres ? de W.T. Vollmann, chez Actes Sud. Précision amusante : le Hyatt Madeleine est un semi-palace parisien. 86 chambres et suites. Premier prix : 370 euros la nuit. Et à ce prix-là, le site internet a la bonté de préciser qu’on a juste droit à une vue sur cour. Je comprends très bien l’interrogation métaphysique de ces braves gens. C’est vrai, ça : pourquoi êtes-vous pauvres ? On croirait du Marie-Chantal.