Avant-critique Roman

Gabriela Cabezón Cámara, "Les griffes de la forêt" (Grasset)

GABRIELA CABEZON CAMARA - Photo © Alejandra López

Gabriela Cabezón Cámara, "Les griffes de la forêt" (Grasset)

Gabriela Cabezón Cámara relate les aventures picaresques de Catalina de Erauso, figure semi-légendaire du Siècle d'or espagnol qui, travestie en homme, s'inventa un destin de part et d'autre de l'Atlantique.

Parution 10 septembre

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Par Laëtitia Favro
Créé le 16.09.2025 à 09h00

Une nonne-soldat en Amérique. « Tu me parlais de l'amiral, ma tante, de Colomb au départ de Sanlucar, des caravelles pareilles à des coquilles de noix, de son désir d'aller à un endroit tout en finissant par échouer dans un autre où il fonda un monde. » Depuis la luxuriance d'une forêt du Nouveau Monde, Antonio écrit à sa tante, qui l'a vu naître petite fille de l'autre côté de l'Atlantique. D'ascendance aristocratique, Catalina de Erauso était une frondeuse au tempérament de feu, réfractaire à l'existence de moniale à laquelle sa tante la prédestinait, tout en faisant germer en elle des désirs d'ailleurs et d'aventures. « Dans ta cellule, tu me parlais de cet autre monde et tu la remplissais de chevaliers, de bateaux, d'Indiens, de terres étranges, encore que toutes les terres me fussent étranges si ce n'était celle du couvent [...]. J'étais ta fillette et toi tu te laissais aller et m'embarquais dans tes rêveries américaines, où il y avait tant d'âmes à convertir à la vraie foi et sans que je le sache la soif du monde grandissait en moi, la soif de partir  ». Et c'est ainsi que, sans avoir prononcé ses vœux, Catalina prit la fuite, travestie en homme, et s'enrôla sur un navire en partance pour l'Amérique.

Là-bas s'accomplit son picaresque destin de  nonne-soldat : duelliste redoutée, elle s'illustre par ses faits d'armes mais s'éloigne d'une hiérarchie militaire qui maltraite ses hommes, pille et assassine les populations autochtones. Les premières pages des Griffes de la forêt de l'écrivaine argentine Gabriela Cabezón Cámara sont ainsi éclairées par les flammes d'un bûcher où Indiens et déserteurs se consument pêle-mêle, et sur les cendres desquels Antonio est lui-même promis à une lente agonie. Parvenant à s'échapper, il entraîne à sa suite deux Indiennes guaranies, une jument et son poulain, une chienne et deux singes que surveille un vautour, mauvais augure annonciateur de la bataille que la forêt s'apprête à livrer contre l'envahisseur.

La trajectoire de Catalina de Erauso (1592- env.1650), figure semi-légendaire du Siècle d'or espagnol, est romanesque en diable. Gabriela Cabezón Cámara en tire un récit qui s'inscrit dans la lignée des Aventures de China Iron (L'Ogre, 2021), son précédent roman de formation. Mêlant le classicisme à la langue guaranie, le genre épistolaire aux chants basques et aux prières en latin, Les griffes de la forêt questionne l'identité de genre par le biais d'une figure historique radicale et flamboyante qui n'aura eu de cesse de se réinventer.

Gabriela Cabezón Cámara
Les griffes de la forêt
Grasset
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Guillaume Contré
Tirage: 4 500 ex.
Prix: 22 € ; 272 p.
ISBN: 9782246838524

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