« Le temps va impitoyablement son chemin, quoi que vous souhaitiez. » Arrive un âge où les mirages se sont dissipés et où l'on se penche en arrière pour mieux saisir l'existence qui a filé. C'est à ce jeu, d'une grande sincérité, que se livre le formidable acteur et comédien Gabriel Byrne. « Je pense ici aux saisons de ma propre vie, en son hiver où je découvre qu'il me faut me dépouiller de ce qui m'a été le plus cher. » Loin de bâtir une biographie classique, il compose un texte intense et bouleversant par la musique de sa plume virevoltante. Le tout forme une mosaïque harmonieuse, qui préserve sa part de mystère. « Notre tragédie, disait O'Neill, c'est d'être hanté non seulement par les masques des autres, mais par ceux que nous portons nous-mêmes. » Byrne se dépouille au fil de mots en enfilade, de souvenirs en cascade et de cette promenade au sein de ses émotions passées et présentes. « Pourquoi ai-je choisi cette vie ? La vie d'acteur. Était-ce le destin ? Peut-être... » Pourtant rien ne semblait le conduire vers ce chemin. Il naît en 1950 « dans ce village tellement calme qu'un chien traversant la rue était un événement ». Nous sommes dans les environs de Dublin, au cœur d'une famille modeste composée de six enfants. Le spectacle se déroule dans la rue ou à la maison. Son père, tonnelier chez Guinness, sombre dans les brumes de l'alcool. Lorsque Gabriel découvre le cinéma, c'est la révélation. « Comme je l'aimais ce monde imaginaire que ma grand-mère m'ouvrait. » De là à songer qu'il en ferait partie... Marqué par une éducation religieuse, ce gamin tantôt rêveur, tantôt turbulent découvre sa vocation à 11 ans : la prêtrise. Soit « une vie de prière, d'étude et de discipline. Le monde réel, pourtant, n'était jamais loin ». Celui d'une guerre larvée qui instaure la violence dans un quotidien déjà paumé. « Les Britanniques, l'Irlande du Nord, la destruction de Dublin par des promoteurs barbares » encouragent Gabriel à protester, mais ses actes sont de faible portée. Il comprend alors que « l'histoire concernait de vraies personnes comme nous, qui avaient vécu et étaient ensuite mortes ». Sa foi en est ébranlée. « [Son] énergie enfin libérée de sa cage, toute [sa] nouvelle vie devant [lui] », Byrne va avant tout se chercher. Apprenti plombier ou monsieur pipi, il enchaîne les petits boulots et les galères, mais sera le premier de la famille à entrer à l'université. Gabriel trouve finalement sa voie sur les planches et au cinéma. Le succès le transporte, mais il reste hanté par les doutes. « À New York. J'étais un émigrant et un immigrant en exil, qui se sentait à la fois de partout et de nulle part. On est chez soi là où on a son cœur, mais le cœur lui-même n'a pas de chez soi. » L'alcool et la dépression alimentent ses démons, mais grâce à sa force de vie inouïe, il fait tout pour s'en sortir. « Nous portions tous des cicatrices, les miennes invisibles. » Dans ce texte, digne d'un roman truculent, Gabriel Byrne décrit « la lumière et le noir. Le noir et la lumière », dont tout être est composé.
Mes fantômes et moi Traduit de l'anglais (Irlande) par Diane Meur
Sabine Wespieser éditeur
Tirage: 8 500 ex.
Prix: 22 € ; 296 p.
ISBN: 9782848054551