Avant-critique Essai

Frédéric Schiffter, illustrations de Muzo, "Indispensable précis de détestation du travail" (Le Dilettante)

Frédéric Schiffter - Photo © DR/Le Dilettante

Frédéric Schiffter, illustrations de Muzo, "Indispensable précis de détestation du travail" (Le Dilettante)

Dans un truculent abécédaire antitravail illustré par Muzo, le philosophe Frédéric Schiffter honore les vertus de la flemme créatrice.

Parution 6 novembre

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Par Laurent Lemire
Créé le 24.10.2024 à 09h00

Bonjour paresse. À force de regarder les vagues sur la côte basque, un philosophe biarrot digne de ce nom en vient, par un phénomène de ressac mental, à s'interroger sur le sens du travail. Et un tel dandy surfeur ne pouvait pas mieux trouver pour accueillir sa réflexion que Le Dilettante, dont le logo est un chat qui paresse sur un livre. Le travail donc, avec son étymologie terrible qui renvoie au tripalium antique du maréchal-ferrant, est au cœur de cet abrégé. Partant d'une équivalence travail/esclavage, Frédéric Schiffter aborde le sujet sous la forme d'un truculent abécédaire. Après les « dictionnaires amoureux », il invente les « dictionnaires dédaigneux » dont cet « indispensable précis » illustré par Muzo pourrait servir de canevas. Le travail, on peut s'y tuer ou devenir un bourreau. Dans les deux cas, il est question de violence. D'absentéisme à zèle, voici donc le lexique décomplexé d'un contempteur du labeur, rêverie solitaire d'un promeneur immobile qui adapte sa pensée à la profondeur de sa flemme. Dans sa jauge, il ne ménage pas ses références, d'Aristote à Giuseppe Rensi, en n'oubliant pas Marx, Nietzsche ou l'incontournable Paul Lafargue et son Droit à la paresse (1880). À partir de ces solides références, il montre combien l'otium des cyrénaïques est préférable au negotium des affaires. Il en tire une définition du salarié : « être humain pauvre en vie, captif des bagnes, appelés aussi entreprises ou boîtes. » Auteur d'une quinzaine d'essais dont Sur le blabla et le chichi des philosophes (PUF, 2002), d'un récit autobiographique, On ne meurt pas de chagrin (Flammarion, 2016), et d'un roman, Jamais la même vague (Flammarion, 2020), Frédéric Schiffter, avec cet air faussement désabusé mais toujours lucide, révèle notre addiction au travail et à cette bimbeloterie managériale colorée d'anglicismes comme le fameux « process » privilégiant la communication à la réflexion. Il fait d'ailleurs sienne cette phrase d'Albert Cossery : « J'écris pour que quelqu'un qui vient de me lire n'aille pas travailler le lendemain. » Voici donc un essai dans lequel on picore et dont on peut interrompre la lecture, gagné par la douce torpeur de l'inaction. Et ne dites pas à l'auteur que tout cela manque de travail, il le prendrait pour un compliment...

Frédéric Schiffter, illustré par Muzo
Indispensable précis de détestation du travail
Le Dilettante
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 16 € ; 128 p.
ISBN: 9791030801460

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