Le coup de semonce a été tiré la semaine dernière par le collectif des Auteurs-autrices en action. Dans une tribune signée par pprès de 750 artistes, le groupe appelle au boycott du second temps du festival d'Angoulême, qui se tiendra fin juin. Les pétitionaires reprochent au gouvernement son inaction sur la réforme de leur statut et l'abandon du rapport Racine, dévoilé un an plus tôt. Ils visent également le festival, coupable à leurs yeux de ne pas rémunérer les auteurs exposés dans les gares de France, dans le cadre d'un partenariat entre la manifestation et la SNCF.
Dans leur réponse, les organisateurs de la manifestation ont fait part de leur "sentiment d'injustice". Rencontré à Angoulême par Livres Hebdo en amont de la cérémonie, le délégué général du festival, Franck Bondoux, rappelle qu'un boycott poussé à l'extrême conduirait à "fermer un espace de débat et de démocratie" utile aux auteurs.
Comprenez-vous que les auteurs utilisent le Festival d'Angoulême comme caisse de résonance pour leurs revendications ?
La réponse est oui, sans l'ombre d'un doute. Le dialogue, la défense d'une cause ou même la polémique, sont consubstantiels aux événement leaders de leurs univers artistiques. Maintenant, si nous acceptons de manière démocratique le choix que font les auteurs, qui pensent que menacer le festival de boycott est le meilleur moyen de faire aboutir leur cause, je m'interroge sur le fond de cette action. Parce que c'est précisément la fenêtre médiatique et l'espace de dialogue offerts par le festival qui leur permet cette prise de parole. Poussée à l'extrême, l'idée d'un boycott aboutirait à fermer cet espace de débat.
Si aujourd'hui les auteurs peuvent prendre la parole au mois de janvier, c'est bien parce que le festival a très courageusement fait le choix de rester. En occupant cette place, il permet de susciter des choses assez étonnantes. Sur France Inter, la première radio de France, une journée entière est consacrée à la bande dessinée. Ce qui est inédit, extraordinaire. De cette manière, on peut entendre des auteurs s'exprimer dans des émissions de grande écoute. C'est grâce au festival. Sur ce point, j'ai le sentiment d'une grande exemplarité. Il eut été plus simple pour nous de déserter la place. Je regrette à ce titre que le collectif des Autrices-Auteurs en Action ne soit pas venu vers nous préalablement. Je ne suis pas adepte de cette façon de procéder, mais je leur ai donné des explications et les invite au dialogue.
Le non-paiement des auteurs pour les expositions organisées par le festival dans les gares françaises semble cristalliser les tensions...
Cette critique me gène. Les auteurs disent qu'ils ne sont pas payés et j'entends cette colère. Mais je considère qu'il y a un angle mort dans l'aveuglement suscité par cette colère. On oublie que le festival s'est lancé dans ce projet en s'endettant. Nous avons investi dans la production de ces expositions, des millions de gens découvrent ces livres, certains d'entre eux passent la porte des librairies pour acheter ces BD. Le festival ne bénéficie d'aucun retour sur ce projet, il est entièrement dédié aux auteurs. De plus, cette action a été conduite en plein accord avec les éditeurs, tout a été signé et approuvé. Nous n'avons forcé personne.
Cela fait plusieurs années qu'Angoulême est le lieu de la contestation des artistes, ne faudrait-il pas que le festival accompagne plus franchement le mouvement, quitte à prendre en main l'organisation du dialogue social avec la création d'assises des auteurs ?
Je crois qu'il ne faut pas se tromper sur ce qui peut se faire dans le cadre du festival. Il est possible d'inviter tout le monde à venir, à se réunir. C'est d'ailleurs ce que l'on a fait lorsque les Etats généraux de la bande dessinée nous ont sollicité pour les accueillir [en 2016, ndlr]. Et en 2020, les auteurs n'ont pas forcé l'accès à la scène de la cérémonie [une soixantaine d'auteurs s'étaient invités sur la scène pour évoquer la crise de leur statut, ndlr], ils ont été les bienvenus, on leur a laissé la parole.
Ce que les auteurs souhaitent, c'est un véritable changement par rapport à leur situation. Cela ne peut se passer que dans le cadre de ce qu'on pourrait appeler un "Grenelle des auteurs et de la bande dessinée", commandité par les pouvoirs publics. Le festival n'a absolument aucune influence sur le sujet et surtout, il n'est pas compétent dans ce dossier. Le boycott d'un événement en juin, qui pourrait encore être repoussé, quand les auteurs parlent d'un état d'urgence, est-ce suffisant pour faire bouger les lignes ?
Les organisateurs de LyonBD et des Rencontres de la bande dessinée d'Amiens ont alerté sur le risque que ferait peser sur leurs structures le décalage du festival au printemps, à quelques semaines de leurs manifestations. Que leur répondez-vous ?
Nous avons développé une vraie réflexion sur la date de report. Nous visions au départ la date qui a finalement été celle de Livre Paris (le week-end du 28 au 31 mai, ndlr). Après avoir dialogué avec la profession, nous avons déterminé cette date de fin juin. Ces reports sont inévitables, comme on l'a vu avec Cannes (reporté de mai à juillet, ndlr), qui a été calé une semaine après notre festival. On voit bien qu'il y a un mouvement général des événements qui tendent à s'éloigner de la pandémie et espèrent une résolution. Nous en faisons partie. Les éditeurs avec lesquels nous avons pu échanger pour l'instant nous ont par ailleurs confié que ce rapprochement ne serait pas un problème parce que que leurs implications dans LyonBD ne sont pas lourdes.
C'est justement l'une des craintes de LyonBD et des Rencontres de la BD d'Amiens : la surcharge des auteurs et des éditeurs, qui pourrait les pousser à faire des arbitrages.
Nous verrons si les éditeurs adopteront ou pas une forme de volontarisme. Au moment où je vous parle, nous sommes en train de construire le mois de juin et les éditeurs n'ont pas encore donné leur réponse définitive sur leur participation. Il y aura donc peut-être des arbitrages, mais pas forcément toujours en notre faveur. Je veux souligner que notre objectif est que la rivière regagne son lit, [que le festival d'Angoulême reprenne sa place en janvier, ndlr] ce dont j'ai fait part à LyonBD et à Amiens, qui craignaient que nous pérennisions l'organisation en juin.
Je crois par ailleurs, sans être prétentieux, que le festival d'Angoulême est un label international un peu unique qu'il est important de préserver. Par ailleurs, pour les collectivités qui soutiennent le festival d'Angoulême, c'est extrêmement important que cet événement se déroule sur leur territoire. C'est l'un des enseignements à tirer de cette période : beaucoup de collectivités ont pu juger de l'importance de leurs événements, pour des raisons sociales, culturelles, économiques... Et c'est pour ça qu'ils les ont soutenus.
Après le Centre national du cinéma et le Centre national de la musique, il semblerait que le gouvernement souhaite conditionner les aides du Centre national du livre au respect de certaines mesures de prévention contre les risques de comportements et violences sexistes. Qu'en pensez-vous ?
Je n'ai pas connaissance de ce sujet. Je rencontre bientôt la présidente du Centre national du livre, Régine Hatchondo, ce sera peut-être l'occasion d'évoquer le sujet, en même temps que celui de la situation des auteurs. Ce que je peux dire, c'est qu'il faut réfléchir à la tentation de reporter sur les événements toutes sortes de charges, en imposant des critères d'éligibilité au niveau des subventions, alors que leurs montants restent les mêmes.
Le report du festival a accéléré la numérisation du marché des droits international, avec la création d'une plateforme qui semble déjà faire l'unanimité....
L'idée sera demain de conjuguer le marché réel et le virtuel. La plateforme a vocation à prendre de l'ampleur, c'est un de nos objectifs majeurs. Avec le Centre national du livre et la région Nouvelle Aquitaine, nous avons identifié le vrai potentiel dont dispose le festival d'Angoulême au niveau des échanges internationaux, alors qu'aujourd'hui il existe un véritable déficit de l'exportation de la bande dessinée francophone. De la même façon que le manga est entré par notre télé, et que l'Amérique a conquis les esprits avec Hollywood, on essaie modestement de travailler à développer le potentiel français, qui existe réellement. Et les signes sont bons puisqu'on commence déjà à voir apparaître des acheteurs de droits audiovisuels étrangers, point de départ d'une possible massification des exports.