Interview - Rentrée d'hiver 2024

Florian Forestier, l'appel de la montagne

Florian Forestier - Photo Chloé Vollmer-Lo /Belfond

Florian Forestier, l'appel de la montagne

Le narrateur du deuxième roman de Florian Forestier Un si beau bleu (Belfond) entreprend d’escaler le mont Cervin, tout autant un défi d’alpiniste qu’une quête intérieure. 

J’achète l’article 1.5 €

Par Sean Rose 
Créé le 18.01.2024 à 17h56

Livres Hebdo : Après une première fiction où le héros disparaissait dans la montagne, vous retournez à ce paysage d’altitude avec un roman d’alpinisme

Florian Forestier : Je suis né en Suisse, dans un endroit où l’on voit l’arc alpin en arrière-plan. C’est un paysage qui m’a structuré en termes de couleur et d’aspiration. Dans Basculer, mon premier roman, sur ce sentiment d’être coincé dans le monde du travail tout en ayant conscience que son fonctionnement ne va plus, je voulais une forte tension entre l’univers urbain quasi carcéral du bureau et l’immensité de la montagne… Dans Un si beau bleu la montagne est le sujet même du livre. En se plongeant dans l’univers de la très haute montagne, la focale change, quand on y est et qu’on ne la voit plus de loin, la montagne n’est plus tant synonyme de calme et de contemplation que d’agitation. Je voulais un roman où l’on ressentirait les halètements de la respiration, irrégulière et anxieuse, parfois jubilatoire, de quelqu’un qui essaye de monter tout en ayant peur.

 

Ce décor escarpé est l’occasion de mettre en scène les gens de la montagne, dépeindre un petit théâtre des sommets…

J’ai voulu jouer sur les archétypes montagnards en les tordant un peu. À la figure du guide, un ancien militaire, j’ai ajouté quelque chose de nerveux, je n’ai non pas voulu en faire un sage, mais l’inverse : un homme pétri de contradictions, extrêmement agité, au bord du burn-out. J’ai également voulu montrer une aspirante guide qui n’est pas native de la montagne, apparemment bretonne, voire qui a des origines plus lointaines encore, métissées… Dans ce milieu des guides masculin, chauvin, assez fermé, elle fait figure d’outsider. C’est une jeune femme dont la nature profonde serait d’être souriante, mais dont l’esprit de sérieux empêche de se lâcher et rend bourrue.

Quant au narrateur qui porte mon nom, c’est moi en pire ! « J’aime l’écriture, m’a dit une amie à qui j’avais fait lire mon manuscrit, mais ne montre jamais ça à une femme que tu essaierais de séduire, ce portrait est un repoussoir ! » Ici j’ai aussi joué sur le contraste entre la bonne forme physique du héros et son caractère comme tout droit sorti d’un film de Woody Allen – un type bourré d’anxiété, douillet, paranoïaque, un peu radin, en permanence en lien avec son psychiatre et sa mère… Bref, pas psychologiquement équipé pour s’intégrer dans ce milieu de haute montagne.

 

Le mont Cervin est un personnage du livre à part entière. Pourquoi ce sommet ?

J’ai fait plusieurs sommets, mais jamais le Cevin, c’est une montagne extraordinaire par sa forme… L’histoire de sa conquête, les tentatives répétées de la part des Italiens, des Anglais… a fait un buzz mondial, la reine Victoria a failli interdire l’alpinisme à ses sujets à la suite des accidents qui avaient coûté la vie à quatre personnes. À côté de la référence historique, je désirais introduire la référence littéraire. Lors de son séjour en Suisse, Tolkien fait la traversée des Alpes bernoises jusqu’au pied du Cervin.

C’est lors de ce périple qu’il imagine les deux scénarios de Bilbo le Hobbit et du Seigneur des anneaux. Le Cervin deviendra la Montagne solitaire où loge le dragon dans Bilbo et, plus tard, le volcan où il faut jeter l’anneau.

 

La montagne est-elle au fond un genre littéraire ?

À l’inverse de la mer, je trouve que la montagne n’est pas assez exploitée dans son potentiel romanesque. Les romans d’alpinisme se réduisent souvent à des récits d’ascension. Moi, j’ai souhaité au contraire faire proliférer les récits : par cette multiplicité d’histoires dans l’histoire, par la diversité des caractères, j’ai voulu exprimer la montagne autrement que sous forme de clôture, montrer qu’elle est une forme d’infini. Bien qu’on ait affaire à un espace fermé, il y a une infinité de vies plissées dans les paysages montagneux. Dans la haute montagne se conjuguent trois mouvements : la montée, la descente en soi et souvent beaucoup d’errance – le voyage sur le côté qui permet la rencontre avec l’autre.

 

Les dernières
actualités