Stendhal avait été fasciné par cette civilisation étrusque, à l’origine mystérieuse et au langage secret. Thierry Camous, spécialiste d’histoire romaine, se propose de nous la faire découvrir au travers d’un roi, le dernier de cette lignée qui régna sur Rome entre 534 et 509 avant J.-C.
Lucius Tarquinius Superbus, c’est-à-dire l’"orgueilleux", n’a pas bonne réputation, c’est le moins que l’on puisse dire. Tite-Live en a laissé un portrait peu flatteur et Cicéron l’a habillé pour la postérité. Après l’expulsion de ce tyran toscan, il écrit que "le nom même de roi était devenu odieux au peuple romain".
C’est moins la tyrannie qu’on lui reproche - c’était alors un régime monarchique - que sa manière de s’en servir. Il faut dire que Tarquin le Superbe arriva au pouvoir par la menace, la tromperie, l’adultère et le crime, ce qui était assez courant à l’époque. Mais l’épisode du viol de Lucrèce par son fils Sextus Tarquin entraîna la fuite du monarque et de sa famille après le suicide de la noble Romaine.
L’histoire de la fondation de Rome hésite toujours entre la réalité et ces personnages sortis du brouillard fabuleux. Thierry Camous interroge donc les textes, l’archéologie et les commentateurs de ces récits mythiques, comme Georges Dumézil.
Pourquoi Tarquin fut-il un roi maudit ? Le fut-il d’ailleurs autant que la tradition s’est employée à nous le présenter ? Thierry Camous passe au crible les récits de Tite-Live et de Denys d’Halicarnasse pour distinguer ce qui relève du folklore - la bataille de la forêt Arsia - et des faits. "La noirceur absolue de la figure du Superbe doit interpeller."
Cette enquête, précise, serrée, nous en dit autant sur cet étrange Etrusque que sur cette ville où le mythique n’est jamais loin du politique. L’accession au pouvoir de Tarquin se fait sur un parricide - il tue le père de sa belle-sœur, Servius Tullius, sixième roi de Rome -, crime terrifiant et sacrilège dans les sociétés méditerranéennes. Pour noircir le tableau, on l’accusera d’avoir été un mauvais conquérant, lui qui fut le plus puissant de tous les maîtres de Rome, dont il fit un Etat influent dans la Méditerranée du IVe siècle. Par la détestation qu’il inspira, Tarquin devint celui qui permit de condamner la monarchie au profit de la république, sans toucher le fondateur légendaire Romulus, lui-même roi issu d’une lignée fantasmée.
L’auteur de l’essai remarqué sur La violence de masse dans l’Histoire (Puf, 2010), dans lequel il examinait la période allant de la bataille d’Actium après l’assassinat de Jules César aux attentats du 11 septembre 2001, a une manière bien à lui de circuler dans les temps anciens. Entre les dieux et les présages, il estompe la noire légende du dernier roi étrusque de Rome tout en racontant les fastes d’un règne magnifique et cruel.
L. L.