Lorsque les soldats d’Alexandre Ier entrent dans Paris le 31 mars 1814, ils sont pressés d’étancher leur soif dans les tavernes et lancent "bystro, bystro" ("vite, vite"). Le mot est resté. Marie-Pierre Rey nous rappelle l’anecdote, mais son Tsar à Paris vaut pour bien plus que cela. L’historienne, qui s’était fait remarquer par un excellent travail sur la campagne de Russie vue par les Russes (L’effroyable tragédie, Flammarion, 2012), poursuit son examen du monde napoléonien. La solidité de ses sources n’alourdit jamais l’écriture. Au contraire, cette connaissance parfaitement digérée se coule dans une prose qui devient insensiblement romanesque.
Involontairement, Napoléon est à l’origine de cette découverte mutuelle. 1814 s’affiche comme une réponse à 1812, lorsque la Grande Armée pénétra dans Moscou livré aux flammes et au pillage. Jusqu’alors, les Russes n’étaient vus que comme des cosaques sanguinaires.
Aux cris de "Vive Alexandre !", les Parisiens saisissent un tout autre aspect de ces cavaliers, le sabre hors du fourreau et les moustaches conquérantes. Ils iront même jusqu’à en puiser des inspirations vestimentaires. En retour, les Russes s’approprient un peu de l’esprit des Lumières français pour contester par la suite la politique du tsar et l’absence de démocratie dans leur pays.
Marie-Pierre Rey raconte tout cela avec beaucoup d’aisance : la campagne de France, les stratégies militaires, l’avancée rapide des coalisés, jusqu’à cet accueil chaleureux de ces Russes qui ne restèrent que deux semaines à Paris. Le tsar en profita pour rallier les Bourbons au principe d’une charte constitutionnelle afin d’entériner la transition politique après l’exil de Napoléon. Alexandre quitta Paris en vainqueur sans imaginer qu’il serait contraint de revenir quinze mois plus tard après le fiasco des Cent-Jours. Il ne s’attarda pas dans la capitale et ses troupes furent plus belliqueuses. Mais Russes et Français avaient fini par se connaître. L. L.