Etrange histoire. De nos jours sans doute, quelque part en Amérique latine, un couple de jeunes cambrioleurs s'introduit, en leur absence, dans les demeures des riches bourgeois et industriels de la ville tristement balnéaire de Villanueva. Là, sans se rendre coupables d'aucun larcin, d'aucune déprédation, ils se contentent de squatter les lieux et de jouir quelques jours durant de leur confort. L'enquête sur cette curieuse affaire est confiée au lieutenant Taïbo. Très vite, ses soupçons se dirigent vers la fille (et son petit ami) de Gustavo et Vida Izarra, les propriétaires de la première maison visitée. Et dans le même temps, ses pensées se tournent de plus en plus vers cette Vida, une quadra venue d'un milieu modeste et assez "desperate housewife". Bientôt, ses visites au domicile des Izarra ne peuvent toutes être mises sur le compte des nécessités de l'enquête...
Des vies d'oiseaux, le nouveau roman de Véronique Ovaldé, c' est "soap opera" latino où l'étrange côtoie la fantaisie, et le roman noir les privilèges d'un imaginaire débridé. L'auteure s'y montre plus maîtresse que jamais de ses moyens, montreuse d'ombres d'un petit monde mû par la fantasmagorie. Bien entendu, l'argument développé ci-dessus n'en est pas vraiment un, tout juste un miroir aux alouettes masquant comme il peut une ligne de tension narrative extrêmement subtile et forte. C'est d'un retour à soi, à un état premier de nature, dont il est ici finalement question. L'amour, comme une lame de fond, trouve chacun des quatre personnages du livre, Taïbo, Vida, Paloma et Adolfo (la fille et son fiancé), le débusque jusque dans ses plus intimes contradictions et renoncements, et le laisse exsangue et libéré. Comme à l'aube du monde, prêt à vivre la vie sans projet ni horizon d'un oiseau posé sur sa branche...
Après quelques fructueuses hésitations (notamment éditoriales), Véronique Ovaldé avait semblé, en posant son barda de romancière à l'enseigne des éditions de l'Olivier, faire la preuve d'une nouvelle maturité artistique. C'était ce qu'indiquait Et mon coeur transparent, puis Ce que je sais de Vera Candida, et dont lui donnait acte leur théorie de lecteurs et de prix littéraires (prix France Culture/Télérama pour le premier, prix Renaudot des lycéens et grand prix des Lectrices de Elle pour le second). Cette fois-ci, elle creuse le même sillon tout en y introduisant des "harmoniques" nouvelles. On retrouve dans ces pages l'onirisme inquiétant qui, depuis Les hommes en général me plaisent beaucoup (Actes Sud, 2003), traverse tous ses livres, mais sur un registre plus "frontal", comme si la formidable conteuse qu'est Véronique Ovaldé s'était fait enfin pleinement confiance. Il y a là dans ces portraits de femmes et d'hommes perdus, et d'enfance retrouvée, quelque chose du lyrisme implacable de Bolaño ou du Sabato du Tunnel. Les amateurs apprécieront.