En marche. C’est souvent ainsi que furent pris les trains des révolutions. N’y voyons aucun avertissement pour le présent. L’ouvrage de Catherine Merridale évoque un vrai train, celui que prit Lénine en 1917, et une vraie révolution, celle d’octobre. Pour le reste, toute ressemblance, etc.
Dans son exil suisse, Lénine fulmine. Petrograd - aujourd’hui Saint-Pétersbourg - s’insurge. Il ne veut pas passer à côté de son destin. Il lui faut donc regagner au plus vite son pays. Le 27 mars, il quitte Zurich avec ses compagnons à bord d’un tortillard jusqu’à la frontière allemande. Ensuite il monte dans une voiture de troisième classe. C’est le début d’un voyage de 3 200 kilomètres accompli en huit jours.
Le fameux wagon plombé était en fait fermé hermétiquement par les autorités allemandes pour lui conserver son caractère d’exterritorialité durant la traversée de leur pays. Lénine, les trente-deux adultes qui l’accompagnaient et les deux enfants dont celui de Zinoviev, devaient y rester isolés des autres voyageurs. Que s’est-il passé dans cette atmosphère confinée ?
Catherine Merridale consacre un chapitre à cette traversée de l’Allemagne. Lénine en profite pour écrire et rédiger les "règles du train". Il y est question des heures de sommeil, de la nourriture, de la place de chacun. Elle détaille les protagonistes de ce voyage au bout de l’utopie qui changera le monde. Dans les autres voitures, on trouve des opportunistes, des espions et des diplomates. Car derrière cette équipée se joue une manche importante de la Première Guerre mondiale.
Les Français et les Britanniques n’ont pas intérêt à ce qu’un révolutionnaire supposé pacifiste vienne calmer l’ardeur de l’armée russe sur le front de l’Est. En revanche, les Allemands… Ce sont eux qui financent le retour de Lénine qui, toujours en train, mais comme tous les passagers, poursuit sa route en longeant la Suède pour redescendre la Finlande jusqu’à Petrograd.
Pour bien comprendre et s’imprégner des paysages, l’historienne britannique a refait l’itinéraire. Mais surtout, cette spécialiste de la Russie (Les guerriers du froid, Fayard, 2012) explique comment et pourquoi ce voyage a eu lieu. Elle en montre aussi les conséquences sur la guerre et sur l’installation d’un régime qui dura soixante-dix ans. Tout cela est très documenté mais surtout très alerte. Ainsi, à propos d’Alexandre Protopopov, un agent du Kaiser introduit chez les Romanov, elle dit qu’il "était plus susceptible d’avoir une vision de la Vierge que de fomenter un complot".
Mais pourquoi "plombé" ? Car le mystère est renforcé par cette image comme si le métal résistait autant aux radiations qu’au temps, comme si cette protection le posait quelque part hors de l’histoire. Comme l’expression "rideau de fer", nous devons celle-ci à Churchill qui fustigea les Allemands pour ce coup monté : "Ils firent transporter Lénine, de Suisse en Russie, comme un bacille de peste, dans un wagon plombé." Avec ce livre, le train des commémorations de 1917 est bien lancé.
Laurent Lemire