Avant-critique Romans

Un autre Zola. Nous sommes en septembre 1891. Émile Zola a 51 ans. Il est à l'apogée de sa carrière, riche et célèbre. Depuis 1869, il s'est lancé dans une folle entreprise romanesque à la Balzac, rédiger l'« histoire naturelle et sociale d'une famille sous le Second Empire », plus connue sous le nom des deux branches de cette famille, Les Rougon-Macquart. La saga comprendra pas moins de vingt volumes, depuis La fortune des Rougon (1871) jusqu'au Docteur Pascal (1893), et Zola, vénéré par les uns, vilipendé par les autres, passe pour le chef de file d'une nouvelle école littéraire, le naturalisme. Certains de ses romans, comme L'assommoir (1877) ou Germinal (1885), ont remporté des succès considérables en France comme à l'étranger. Mais, en 1891, Zola est au bord du burn-out, comme on dirait aujourd'hui.

Alors qu'il ne lui reste que deux volumes de sa fresque à écrire (La débâcle, qui sera publié en 1892, et Le docteur Pascal), il ressent une profonde lassitude face au système où il s'est lui-même enfermé, et même le naturalisme lui pèse. Il aimerait bien se renouveler, changer de genre, passer à « autre chose », comme il dit, sans savoir bien quoi. En voyage dans les Pyrénées, il va avoir, à Lourdes, lui l'athée, une sorte de révélation. Il imagine un roman différent, centré autour de la religion, de la spiritualité et de la ville mariale. Lourdes sera le premier volume de ce qui s'annonce bientôt comme une trilogie. Le roman paraît en 1894 - et sera mis à l'index par l'Église. Suivront Rome, en 1896, et Paris, en 1898. À travers son héros, Pierre Froment, un prêtre, Zola dépeint les dérives de l'idolâtrie, puis les intrigues vaticanes, une passion amoureuse irrépressible et enfin la Babylone moderne, Paris, avec ses ombres et ses lumières, ses scandales, sa « chienlit » politique.

Toute ressemblance avec notre époque est évidemment fortuite. Mais ce qui frappe, à lire ces trois romans si méconnus, c'est leur stupéfiante modernité, leurs thématiques si contemporaines. Et l'imagination en roue libre de l'écrivain. Lequel, pourtant, ne renonce pas à sa méthode de travail : aller sur le motif, se documenter méticuleusement. Dans cette optique, la lecture, entre autres inédits de cette riche édition, du journal que Zola a tenu du 31 octobre au 16 décembre 1894 d'abord à Rome, puis à Florence, Venise et Milan, est passionnante et éclairante. « Dans ce voyage, écrit Zola, j'ai pris une idée générale de l'Italie, au point de vue de la nation. » Il note et raconte toutes ses visites, dessine même de petits croquis, et certaines scènes sont surréalistes.

Ainsi sa présence à l'audience du Pape, le 6 novembre. Fasciné, il décrit la pompe, les rites, « ce que cela représente pour les pauvres âmes endolories, ayant soif de certitude ». « Quelle idolâtrie », commente-t-il, impressionné quand même par « Léon XIII, une âme, un souffle, dans une grande soutane blanche ». Âgé mais « pourtant, une grande majesté ». On n'attendait pas Zola sur ce terrain. Ni sur celui de ses Quatre Évangiles laïques (Fécondité, Travail, Vérité, parus de 1899 à 1903, et Justice, resté inachevé). Ni sur un autre, qui conditionnera le reste de sa vie, à partir de 1895 : son engagement résolu et sans faille en faveur du capitaine Dreyfus. C'est ce qui a peut-être causé sa mort, le 29 septembre 1902, d'une asphyxie suspecte.

Émile Zola
Les trois villes
Gallimard
Édition de Jacques Noiray
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 75 € jusqu’au 31/08/2025, Prix définitif : 79 € ; 1936 p.
ISBN: 9782073098528

Les dernières
actualités