Les libraires ont le merveilleux pouvoir de nous transmettre leurs goûts littéraires, mais il arrive aussi qu'ils soient responsables de trouvailles incroyables. Installé à Jérusalem, M. Pomeranz a fait une découverte inédite dans un recueil épuisé : un texte oublié d'Elie Wiesel. Même le fils de ce dernier n'en avait jamais entendu parler. Visiblement composé dans les années 1970, le texte s'ancre dans le passé douloureux de cet écrivain au destin extraordinaire. Il n'a que 15 ans quand il plonge dans le brouillard d'Auschwitz.
Cette expérience modifie son regard et alimente ses écrits, mondialement réputés. Dans ce « nigoun » (chant religieux poétique), Elie Wiesel désire « revenir aux sources, sonder les profondeurs » de l'esprit hassidique du shtetl (le quartier juif) dans lequel il a grandi. Comme si les rudiments de son enfance s'étaient infiltrés à jamais en lui... On se retrouve vers « un ghetto, quelque part vers l'Est, durant le règne de la nuit ». Des nazis exigent qu'on leur remette dix Juifs, sinon toute la communauté sera exécutée. Un macabre calcul auquel est confronté le rabbin, qui sombre dans le chagrin. « Et je m'abîme dans le silence des ténèbres, qui est aussi celui de Dieu. » Aussi va-t-il consulter ses pairs, afin de trouver une issue à ce « choix de Sophie » redoutable auquel se sont heurtés tant de dirigeants juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. « C'est une question de vie ou de mort. »
Prêt à sacrifier sa propre vie, le rabbin aspire jusqu'au bout au miracle de Pourim. Cette fête carnavalesque se tient le lendemain. Elle célèbre le règne de la courageuse Esther, qui a tout fait pour éviter le massacre des Juifs persans. Parviendront-ils à réitérer l'impossible ? Illustré par des dessins de Mark Podwal, ce texte court rend hommage au courage des oubliés. « L'objectif de mon père était de montrer qu'il n'existe pas une seule manière pour les Juifs d'être des héros. Il n'a jamais porté d'arme, pourtant il était bien un héros. Mon père se battait avec les mots en racontant son histoire et celle de tant d'autres », confie son fils Elisha Wiesel dans la postface. Tel un long poème déchirant, ce conte nous entraîne des abysses aux éclats de joie, des prémices de l'espoir à l'histoire d'un désespoir.
Conte d'un nigoun Traduit de l'anglais (États-Unis) par Carine Chichereau
Seuil
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 15 € ; 64 p.
ISBN: 9782021475678