Dans l’un des mes films préférés, Domicile conjugal , Antoine Doinel écrit un livre, mais n’a pas encore de titre. Un de ses voisins lui demande : « Est-ce qu’il y a des tambours dans votre roman ? –Non. Est-ce qu’il y a des trompettes ? – Non. Eh bien voilà, vous devriez l’appeler « sans tambours ni trompettes ». Pendant quelques jours, j’ai voulu appeler mon livre ainsi. Puis ce fut le tour de à la recherche de mon idée perdue , puis de l’idée Alice , puis de la postérité amoureuse , puis de assis dans l’âge adulte , et actuellement j’ai simplement opté pour Alice . Mais j’ai un peu peur, à cause de Alice Adsl. J’ai peur qu’on me fasse des « ouh ouh » dans les émissions. C’est si vite arrivé de nos jours un commentaire pertinent sur un livre. Quand je suis passé chez Ardisson, c’était vers la fin, cela faisait quatre heures qu’ils enregistraient, les invités tombaient, Michel Boujenah frôlait le suicide ou la conversion. Et je suis arrivé avec mon roman, et mes balbutiements. Je n’ai jamais réussi à être palpitant, et autour de moi j’ai senti un festival de paupières lourdes. Autre problème majeur : je fus victime du syndrome foudroyant du tic verbal. Subitement, je n’ai cessé d’employer le mot « effectivement ». Allez savoir pourquoi. Une vraie pulsion d’effectivement. J’ai dû le placer 75 fois ; effectivement, il me semble qu’effectivement on peut effectivement dire cela, effectivement. Certains ont cru à une sorte de happening de l’effectivement, une prestation dictée par Sophie Calle. Après avoir endormi tout le monde, heureusement que le blind test est arrivé. Et là, je me suis dit : tu dois être bon au blind test, car maintenant, c’est comme ça qu’on juge la qualité d’un texte. Et je dois dire que je fus à peu près bon. J’ai pu enfin voir l’œil de Thierry Ardisson pétiller, de la considération même pour mon talent. De nos jours, pour être un bon écrivain, il faut juste connaître Franz Ferdinand. Pourquoi est-ce que je raconte tout ça ? Ah oui, à cause d’Alice. Et puis aussi en pensant à Claire Castillon. Il y a quelques jours, je l’ai vue dans l’émission de Laurent Ruquier (bien sûr qu’il faut y aller, bien sûr qu’un écrivain a envie d’être lu), mais franchement je n’ai jamais vu un aussi grand décalage entre un texte et une émission où l’on parle des livres. Je trouve ses dernières nouvelles vraiment fabuleuses, elles me semblent encore plus fortes que les précédentes. Son recueil, on n’empêche pas un petit cœur d’aimer (mais qu’est-ce qu’ils ont tous à avoir de si bon titres en ce moment? Moins je trouve le mien, plus les autres s’excitent) est d’une grande élégance. Il n’y a pas un mot de trop. Il faudrait les écouter. On y retrouve toujours une certaine violence, mais elle est souvent atténuée par une douceur lumineuse, comme s’il pouvait exister une nostalgie des blessures. Elle donne envie de partir en vacances avec quelqu’un qui mord. C’est dans ces extrêmes qu’elle puise aussi son humour : la troisième nouvelle est un dialogue entre un homme et une femme ; il ne cesse de parler de ses hésitations professionnelles. Et tous deux sont dans un mouvement qu’on ne comprend pas. L’homme est obnubilé par son nombril, jusqu’au moment où on lui demande de s’occuper du nombril de sa femme, car elle vient d’accoucher. C’est vraiment une idée fabuleuse. Les chutes de ses nouvelles donnent envie de relire le texte, à la lumière de leur fin révélée. Comme cette chronique est d’une cohérence limpide, je reviens sur le fait que Claire Castillon était chez Ruquier. On y faisait des petites blagues sur le fait que les présentateurs actuels du 20h étaient sexy. On gloussait en oubliant le travail et l’univers d’un écrivain. Et j’ai beaucoup aimé sa réaction. Presque immobile, attendant que cela se passe, elle ressemblait à l’une de ses héroïnes. Elle passait à la télé comme on aurait pu être sur un quai de gare. On n’empêche pas un bon écrivain d’être un bon écrivain. Trois vœux de Claire Castillon : 1/ Avoir deux ailes. 2/ Avoir la faculté de me téléporter. 3/ Immortaliser mon chien.