Fondées en 2005 par Jean Poderos, les éditions Courtes et Longues fêtent cette année leurs 20 ans. Deux décennies au cours desquelles la maison indépendante, résolument attachée à la qualité graphique et intellectuelle de ses ouvrages, a consolidé une ligne éditoriale singulière : réhabiliter la lecture par l’image, auprès des enfants comme des adultes, en conjuguant éducation artistique, créations originales et collaborations muséales.
Formé à l’édition américaine dans les années 1990 auprès d’André Schiffrin, alors à la tête de The New Press, Jean Poderos revient en France pour intégrer Beaux-Arts Magazine, puis la revue Dada, qu’il dirige pendant plusieurs années. Mais, au fil du temps, le journaliste-éditeur ressent le besoin d’affirmer sa propre vision. « Quitte à être exploité par quelqu’un, autant que ce soit par moi-même », plaisante-t-il, auprès de Livres Hebdo.
« Il faut se mettre au niveau des enfants, leur expliquer les choses simplement »
Cette farouche indépendance l’amène, en 2005, à créer les éditions Courtes et Longues, animé par une volonté singulière : parler d’art aux enfants comme aux adultes. « À l’époque, quand je travaillais à Dada, Éliane Bernard et Alexandre Faure avaient réussi quelque chose de remarquable en s’adressant aux deux publics. J’avais envie de pouvoir faire la même chose au sein d’une même maison », explique l’éditeur.
Une biographie de Niki de Saint-Phalle illustrée par Catherine Francblin et les mémoires de Pierre Apraxine, par Jean Poderos.- Photo @ÉDITIONS COURTES ET LONGUES, 2025.Pour télécharger ce document, vous devez d'abord acheter l'article correspondant.
Les éditions Courtes et Longues inaugurent donc leur catalogue avec une collection adressée plutôt aux adultes, et dédiée à l’histoire de la Manufacture de Sèvres, pour laquelle elles commissionnent l’intégralité de l’iconographie. « Pendant un temps, les gens se fichaient un peu de nous. Aujourd’hui, la littérature des arts décoratifs utilise les mêmes codes », observe Jean Poderos, ravi, aujourd’hui, de multiplier les coéditions avec des institutions aussi prestigieuses que le musée d’Orsay, le musée des Confluences à Lyon, ou encore le Musée d’Art et d’Industrie de Saint-Étienne.
Côté jeunesse, l’éditeur identifie rapidement une lacune : à l’époque, l’histoire de l’art est encore une discipline balbutiante dans les programmes scolaires, tandis que l’art contemporain demeure mal connu du grand public. Il lance alors la collection « Toutes les histoires de l’art », pensée pour les élèves du premier et du second degré, et construite autour de grands auteurs, pour initier les jeunes lecteurs. « Il faut se mettre au niveau des enfants, leur expliquer les choses simplement », martèle-t-il.
Regarder les œuvres d'art autrement
Pourtant, en dépit du prix volontairement contenu des ouvrages (10,95 euros), le succès commercial reste limité. « Je crois que ce genre de livres visait un lectorat qui possède déjà un certain background culturel… », analyse, avec du recul, Jean Poderos. Toutefois, l’éditeur ne manque pas de ressources. Convaincu que la lecture intuitive de l’image s’épuise à l’âge adulte, il imagine ensuite la série « Les erreurs », invitant le public adulte à explorer les œuvres autrement, en repérant les défauts et les imperfections d’une œuvre. Un moyen d’aiguiser le regard avec des titres comme Les Erreurs dans l’architecture d’Antoine Vigne.
Autre collection majeure du catalogue, « Les Grands » entend faire dialoguer le texte et l’image autour de figures ou de mouvements essentiels de l’histoire de l’art : Pierre Apraxine, Niki de Saint-Phalle ou encore Léonard Bernstein. Plus récemment, la collection va jusqu’à republier Les Fleurs du mal à l’occasion du bicentenaire de Baudelaire, et remettre au goût du jour les Contes et nouvelles fantastiques français du XIXᵉ siècle, avec les illustrations d’auteurs jeunesse tels que Jean-Baptiste Bourgois ou Isabelle Simler. Autrice fidèle au catalogue, celle-ci a d’ailleurs reçu, en 2022, le Grand prix de l’illustration jeunesse pour Les idées sont de drôles de bestioles, et a de nouveau séduit la critique avec sa propre version du conte Alice au pays des merveilles.
"Alice aux pays des merveilles", le conte de Lewis Caroll revisité par le coup de crayon d'Isabelle Simler.- Photo @ÉDITIONS COURTES ET LONGUES 2025.Pour télécharger ce document, vous devez d'abord acheter l'article correspondant.
Positionnées à la croisée d’un marché de niche – celui des beaux-livres d'art – et d’un secteur jeunesse fortement concurrentiel, les éditions Courtes et Longues ont construit, au fil des années, une identité assumée : des prix plus élevés, mais une qualité de fabrication irréprochable. « Depuis le Covid et l’augmentation des coûts de production, beaucoup d’éditeurs ont renoncé, par exemple, à la photogravure. Nous avons, au contraire, choisi de la maintenir, de sélectionner soigneusement nos papiers et d’imprimer uniquement en Europe », explique Jean Poderos.
« Notre maison peut être utile aux enfants et contribuer à l’accès au livre et à l’image »
Fidèle à ses choix, la maison ne s’impose aucune limite. Après un premier essai du côté du roman jeunesse avec Lignes de Jacques Arragon, en 2016, elle s’est finalement engagée pleinement dans le genre trois ans plus tard, avec une collection dédiée. « J'avais lu pas mal de romans jeunesse, et constatais que de belles choses étaient en train de s’y passer, avec une ouverture et une liberté peu communes à la littérature générale. J’avais donc très envie de prendre ce train-là », confie l’éditeur.
Organisée par tranches d’âge (« Romans étoiles » dès 7 ans, « Supernova » pour les 9-12 ans, « Ultra-violet » pour les adolescents), cette collection s’étoffe désormais de cinq à dix titres par an. La dernière nouveauté ? Une série signée Elisabeth Brami pour les 3-5 ans, intitulée « À lire avec les oreilles ».
« L’image fixe est d’une importance cruciale pour le développement de l’imaginaire »
Depuis cette diversification, l’éditeur a également développé ses liens avec les médiathèques et conçoit des fiches pédagogiques à destination des enseignants. « J’ai besoin de savoir que notre maison peut être utile aux enfants et contribuer à l’accès au livre et à l’image », souligne l’éditeur, désormais habitué à transporter une mallette pédagogique lors de ses déplacements sur les salons littéraires.
Dans un paysage éditorial de plus en plus marqué par le numérique et par l’essor spectaculaire de l’audio, ces engagements prennent une importance nouvelle. Pour Jean Poderos, cette évolution rappelle à quel point l’apprentissage du décryptage de l’image et son accompagnement éducatif sont essentiels : « Le livre audio ne comporte pas d’image. Or, il est absolument essentiel que les enfants apprennent à lire l’image, et surtout l’image fixe, qui est d’une importance cruciale pour le développement de l’imaginaire ».
Une conviction qui prolonge naturellement le travail entrepris par la maison, dont l’ambition est désormais d’élargir son offre, en explorant à l’avenir de nouvelles façons d’aborder l’image sous toutes ses formes. Y compris, peut-être, en passant par le 9ᵉ art.


