7 MARS - ESSAI France

Anne Sinclair- Photo ROBERTO FRANKENBERG/GRASSET

Elle a longtemps été le regard bleu le plus célèbre de la lucarne hertzienne, et récemment associée à une affaire à trois lettres - DSK - où son conjoint éponyme vit sa carrière politique se briser contre un scandale sexuel. Cela avait eu lieu à New York, cette ville où elle naquit et ne vécut que deux ans - mais elle y retournerait souvent - et qui avait été liée en d'autres temps à des souvenirs heureux. Son grand-père maternel y avait ouvert une galerie en 1940 : P. R. & Co ("Pi-ar enco", à prononcer à l'américaine). Dans 21, rue La Boétie, Anne Sinclair raconte son aïeul Paul Rosenberg, galeriste notamment de Picasso, Matisse, Braque, Léger, et de tant d'autres grands noms de la peinture moderne. L'art, elle y avait toujours baigné, comme malgré elle. Un cahier photos dans le livre montre un portrait d'Anne Sinclair enfant par Marie Laurencin (qui avait un contrat d'exclusivité avec Paul Rosenberg, à la fois âpre négociant et farouche imprésario de ses artistes d'avant-garde) ou encore une photo d'elle à 20 ans avec le peintre de Guernica. Mais comme elle l'explique, d'emblée, ce n'est pas vraiment vers ce côté maternel qu'elle se tourne, déployant ses ailes vers une carrière de journaliste : "Ce que j'aimais, c'était la politique, le journalisme, le côté du père plus que celui de la mère. Mon père, qui était dans la France Libre au Moyen-Orient pendant la guerre ; mon père qui faisait au nom du Général, des éditoriaux sur Radio-Beyrouth [...] ; mon père, rentré à Paris après la Libération, revoir, avant sa mort, son propre père très malade depuis Drancy." Les Rosenberg se trouvaient en Amérique pendant l'Occupation. Ils n'avaient pas à avoir honte d'avoir fui, souligne la petite-fille de Paul, car s'ils n'étaient pas partis, ils auraient été exterminés par les nazis. En fouillant dans les vieux cartons d'archives après la mort de sa mère Micheline, Anne Sinclair se rend compte que cette partie de la famille s'est engagée à sa manière contre les Allemands : l'oncle d'Anne, Alexandre, était lieutenant dans la 2e DB de Leclerc ; quant à son aïeul, outre des dons d'argent, il avait organisé des expositions dont les bénéfices allaient aux associations aidant la France libre. Pillé par l'occupant, le 21, rue La Boétie, adresse historique de la galerie Rosenberg, était devenu le siège du collaborationniste Institut d'étude des questions juives !

Biographie du marchand d'art, le livre est bien plus qu'un récit de vie. S'il est un hommage au côté de sa mère, dédicataire de l'ouvrage, il est aussi un tableau de la bourgeoisie "israélite" acculturée aux valeurs de la République - la France avait considéré ses Juifs assez intégrés pour les envoyer combattre pour elle en 14-18 - et spoliée sous le régime de Vichy. Le livre donne aussi, en creux, ou plutôt en surimpression, une vision très personnelle de l'art et de l'engagement de l'ancienne présentatrice de "Sept sur sept". 21, rue La Boétie se lit enfin comme une réflexion politique sur fond de débat récent sur l'identité : lors d'un renouvellement de papiers, Anne Sinclair doit faire la preuve de sa "francité", elle dont le grand-père avait été déchu de sa nationalité française par le gouvernement de Pétain et qui fut naguère choisie par les édiles de France pour représenter Marianne.

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