C'est un bout du monde en Afrique : une concession de chasse abandonnée, à l'écart des hommes, baptisée Jérusalem, où se sont installés quelques survivants comme après le chaos. Les derniers habitants du monde, du moins c'est ce que prétend le maître des lieux, Sylvestre Fitalicio, qui a conduit il y a huit ans ses deux fils dans ce territoire-métaphore du Mozambique où l'auteur Mia Couto naquît il y a cinquante-six ans.
L'accordeur de silences, c'est Mwanito, 11 ans, le narrateur, l'un des deux enfants qui vit là avec son frère aîné Ntunzi, leur domestique Zacaria Kalash, un ancien militaire, leur oncle Aproximado, installé à l'écart du "campement", et l'ânesse Jezibela. Par sa seule présence, le jeune garçon a le don d'aider les autres à rester silencieux. "Je nouais les fils délicats dont on tisse la quiétude."
Dans la première partie du livre, un des chapitres est consacré à chacun des habitants de ce monde sans femmes, barricadé d'interdits et de peurs, le sujet le plus tabou étant la mort de la mère Dordalma ("douleurdâme"). Sur ce territoire abandonné, on creuse des puits "aveugles et secs", on répand de la poussière et des feuilles sur les chemins pour effacer la route, on doit embrasser la terre, à plat ventre, bras en croix avant d'aller se coucher... A Jérusalem, se souvenir est interdit. Le père impose le silence sur le passé et déchaîne souvent sa colère contre son fils aîné, qui transgresse les règles et montre à son cadet le "fleuve sans nom" qui fait la frontière avec "l'Autre-Côté", lui apprend à lire et à écrire, avec un jeu de cartes pour cahier d'école puisque toute écriture est bannie. On ne prie pas non plus car c'est "appeler des visites". Précautions vaines, car aussi forte que soit la volonté de les refouler, les fantômes viennent hanter les nuits et les jours des habitants de Jérusalem.
Puis arrive Martha, la première femme que voit Mwanito : elle est blanche, vient de Lisbonne, officiellement pour photographier des hérons. Mais elle est blessée, perdue elle aussi, à la recherche de son mari Marcelo, jamais revenu d'Afrique. Tous seront chassés de l'enfer pour affronter enfin le passé.
De livre en livre, Mia Couto invente une langue créole liant son portugais à la tradition africaine, pour fabriquer des romans-contes qui parlent de pays détruits par la violence de la guerre, des relations qu'entretiennent les vivants et les morts, du conflit entre la mémoire et l'oubli. Mais oublier ne se décrète pas.