Ganbare ! Cela signifie "courage" en japonais. C'est le message adressé au peuple japonais par des milliers de fans de manga français, témoignages de solidarité après le séisme et la catastrophe nucléaire qui ont touché le pays en début d'année (voir encadré p. 65). C'est aussi une qualité dont vont devoir faire preuve les éditeurs du secteur. Ils font face, après une bonne décennie de progression insolente, à un fort ralentissement du marché depuis 2009. L'an passé, les ventes de mangas ont régressé de 8,3 % en valeur et de 9 % en nombre d'exemplaires vendus d'après Ipsos. En cause, l'arrêt ou le ralentissement de séries porteuses, l'arrivée à maturité du secteur (1), mais aussi, plus conjoncturellement, la difficulté de la librairie en général et des hypers en particulier. "Ils ont réduit le métrage", confirme Yves Schlirf, le directeur éditorial de Kana. Or, comme l'explique Perrine Baschieri, la responsable marketing de Delcourt-Akata, "la grande distribution est le réseau qui a activement participé à l'essor du marché du manga et lorsque ce réseau souffre, les éditeurs en subissent les conséquences".
Dans ce contexte, Kazé manga, Kurokawa, Ki-oon et Glénat parviennent à gagner des parts de marché. Doki-Doki, le label de Bamboo qui est toujours en phase de développement, fêtant cette année ses cinq ans, enregistre en 2010 une progression des ventes de 40 % avec une production équivalente en nombre de titres. Perrine Baschieri revendique une "année correcte" pour sa maison. Les deux leaders, Kana et Glénat, suivent la courbe du marché. Kana, premier sur le shônen (pour ados), a bénéficié des succès de Black Butler, Pluto, qui s'arrête cette année, et Bakuman, qui ont constitué de bons relais de croissance alors que le rythme des parutions de Naruto, qui représente avec des tirages à 200 000 exemplaires 12 % des ventes de l'éditeur, a ralenti de 6 à 4 tomes par an.
HAUSSE DES TARIFS
Le début d'année 2011 est un peu moins inquiétant. "La bonne nouvelle est que le marché a arrêté de chuter", affirme Alain Kahn, le P-DG de Pika. Sur les cinq premiers mois de l'année selon Ipsos, le marché a progressé de 1,4 % en nombre d'exemplaires vendus, et de 5,4 % en valeur. La faiblesse des ventes a en effet été compensée par une légère hausse des prix de plusieurs mangas. Glénat, par exemple, a augmenté ses tarifs de 0,40 euro au 1er janvier, passant les volumes vendus de 6,50 à 6,90 euros. Kana a limité la casse en début d'année en jugulant les retours qui avaient plombé dès les premiers mois ses résultats 2010. "Nous avons constaté que les meilleures ventes en manga de janvier-février sont souvent les mêmes que celles d'octobre-novembre. Média Diffusion a donc demandé aux libraires de ne pas retourner tout de suite les ouvrages."
Reste que, comme le note Iker Bilbao chez Soleil manga, le durcissement du marché incite les éditeurs à "s'interroger sur ce que nous publions et la façon dont nous le faisons". La conséquence immédiate est une réduction du nombre de titres, couplée à un repli sur des valeurs sûres. Dans une volonté "d'assainissement du marché" selon son directeur, Pika a réduit de près de 20 % sa production, passant de 200 à 160 titres en 2011. Delcourt a freiné un peu son rythme de sorties "pour réguler le marché" d'une dizaine de titres à 6 ou 7 par mois. Raphaël Pennes, à la tête de Kazé manga, souhaite aussi "calmer la production en se centrant sur un gros lancement par mois contre 2 ou 3 l'an passé". Sakka-Casterman se concentre sur "20 à 30 titres par an, avec une légère baisse car des séries s'arrêtent et ne sont pas encore renouvelées", explique la responsable éditoriale, Nadia Gibert. Glénat ne réduit pas la voilure car Stéphane Ferrand, chargé du manga, n'a pas l'impression de surproduire : "Je vends les titres que je choisis. Mais je limite les nouvelles séries." Chez Kana aussi, Yves Schlirf affirme avoir "freiné les nouveaux mangas en les reportant sur un ou deux ans pour travailler en profondeur les sorties."
ARTILLERIE MARKETING
Du coup, la production se resserre sur les titres au potentiel déjà éprouvé. Delcourt se concentre sur le shôjo (pour filles), son coeur de métier, avec le lancement en octobre de Princess Jellyfish (2 millions d'exemplaires se sont déjà écoulés au Japon), et Soleil calme les parutions de shônen pour accentuer le gothique (15 % de son chiffre d'affaires) avec le lancement de Kiss of Rose Princess le 6 juillet. Ki-oon mise sur le thriller avec le 30 juin Judges par l'auteur de Doubt, dont le tome 1 s'était vendu à 50 000 exemplaires. L'éditeur déploie la grosse artillerie marketing avec une campagne 4 × 3 dans le métro et une mise en avant à la Fnac. Glénat progresse entre janvier et avril car "les valeurs sûres du catalogue [One Piece ou Bleatch] permettent de solidifier l'activité"."Le public peu fortuné se recroqueville sur les séries qu'il suit déjà et ne se lance pas forcément dans une nouvelle, constate Stéphane Ferrand. La consommation se fait de manière plus lente, les lecteurs ne se jettent plus sur la nouveauté, réfléchissent avant d'acheter."
En conséquence, Glénat propose une batterie de volumes dérivés de sa série phare One Piece, qui comptabilise 6 millions d'exemplaires vendus en France, et 230 millions au Japon. En plus des 4 à 6 volumes de la série chaque année, il existe un ensemble de "publishing" comme les livres tirés des films, les hard books, guide books ou one shot comme Wanted, les premiers travaux de l'auteur Eiichiro Oda publiés en juin. "Il s'agit aussi de freiner les nouveautés sur la série principale pour ne pas rattraper le rythme japonais", confie Stéphane Ferrand.
Par ailleurs, les éditeurs tentent de faire vivre au maximum le fonds en proposant des nouvelles éditions. Kana lance sur ce modèle une opération Naruto : "2 achetés, 1 offert". "Tout le monde cherche un moyen de relancer le fonds", explique Yves Schlirf. Ainsi, quand Hokusai (Kana) a été épuisé dès sa sortie, il a été réédité avec une nouvelle jaquette pour qu'il entre dans les "nouveautés" et se retrouve sur les tables des libraires. C'est le nerf de la guerre. Et parmi les stratégies déployées par les éditeurs, il y a celle qui consiste à éditer un nouveau tome assorti de la version collector. Le titre bénéficie ainsi d'une double visibilité - deux piles en librairie - et le tirage limité de l'édition de luxe permet un écoulement plus rapide. Une technique très prisée par Kana ou Pika ; ce dernier proposera des collectors de Fairy Tail vol. 19 le 29 juin ou de Dreamland vol. 10 le 21 septembre. Kana vient, lui, de lancer une refonte de son site Internet, qui deviendra en fin d'année un site de vente pour proposer une offre complète de tous les titres du catalogue que les libraires ont du mal à garder en stock, faute de place.
FIN DES ENCHÈRES DÉBRIDÉES
La prudence éditoriale se ressent également dans les échanges avec le Japon, où les enchères débridées pour une série n'ont plus cours. "Tout le monde s'est calmé, affirme un éditeur. Il y a moins de mangas forts et, pour les gros potentiels, Kazé a la première option. On ne va pas se battre pour des titres de seconde zone !" En effet, Kazé manga, filiale commune en France des deux géants japonais Shueisha et Shogakukan, avait fait en 2009 une entrée discrète sur le marché en ne publiant pas de shônen, par exemple, pour ne pas concurrencer directement les éditeurs français. Mais les résultats de 2010 ont été en dessous des objectifs des Japonais, et des "hits" sont programmés en 2011 pour consolider le chiffre d'affaires. "Notre objectif 2011 : développer le shônen et finir à la 5e place en termes de part de marché", lance Raphaël Pennes, qui proposera pour Japan Expo la nouvelle série du studio Clamp Gate 7 et en septembre Toriko, de Mitsutoshi Shimabukuro, qui est issu du célèbre magazine Shônen Jump.
Depuis plusieurs années, les éditeurs français de mangas tentent de sortir de cette dépendance vis-à-vis de leurs confrères japonais en développant soit la bande dessinée chinoise ou coréenne, soit le manga français. Ces diversifications se sont soldées par de nombreux échecs. Mais Ankama a réussi avec sa série française Dofus, qui vient de passer le million d'exemplaires vendus. Par ailleurs, l'éditeur développe un magazine de prépublication manga Akiba et des traductions du japonais comme Soil, depuis un an, dans une collection dirigée par Jean-David Morvan.
LA CRÉATION EN TÊTE
La série française Dreamland (Pika) trouve ses marques avec 140 000 exemplaires vendus en cumulé pour les 9 premiers tomes. Ki-oon travaille directement avec des mangakas au Japon car, selon son codirecteur, Ahmed Agne, "l'avenir du manga dans un marché où il n'y a plus de nouveau Naruto ou One Piece passe pour nous par la création". Quatre projets sont déjà en cours et les premiers titres paraîtront l'an prochain. Les éditeurs avaient anticipé l'arrivée à maturité du secteur en adaptant leur programme et en se tournant vers de nouveaux publics. Les lecteurs de mangas ont entre 9 et 20 ans ; une offre pour les plus jeunes et une pour le public plus âgé, venant de la bande dessinée franco-belge, avaient donc leur place. Elles se sont développées cette année. Glénat avait ouvert la voix avec Les gouttes de Dieu, série oenologique qui s'est vendue à ce jour à plus de 450 000 exemplaires et qui attire un lectorat qui n'est pas celui du manga traditionnel. Casterman vient d'annoncer sur ce segment l'achat du très attendu Thermae Romae, dont les trois premiers tomes se sont vendus à 1,5 million d'exemplaires au Japon.
Le lancement en mars de Jésus et Bouddha par Kurokawa, pour ce même public, a été un succès, "au-delà de nos espérances", confie Grégoire Hellot, directeur éditorial. L'ouvrage s'est même retrouvé chroniqué dans Télérama et les journaux gratuits. Un tour de force, car "les mangas sont encore vus comme subversifs ou segmentants, et n'ont pas de relais grand public", constate Cécile Pournin, chez Ki-oon. Sakka-Casterman contourne cet obstacle en signant un partenariat avec L'Equipe magazine pour une prépublication complète, pendant l'été, de Garôden, les loups affamés, série sur le catch de Jiro Taniguchi. Soleil a réussi à se faufiler dans les médias généralistes grâce à une astuce éditoriale classique : le choix d'un préfacier célèbre. Ainsi, pour la publication du Capital de Karl Marx adapté en manga, Olivier Besancenot, qui signait l'introduction, a fait la tournée des plateaux dont celui du convoité "Grand journal" de Canal +. A la veille de la fête de l'Humanité, l'éditeur proposera le Manifeste du parti communiste en manga et convoquera une nouvelle personnalité en préface.
DÉVELOPPER LA JEUNESSE
A l'autre extrémité de la pyramide des âges, les éditeurs ciblent les petits avec le développement de collections jeunesse. Glénat avait lancé sa collection "Kids" en 2010 pour les bambins dès 5 ans, et, sous ce label, Chi atteint les 20 000 albums vendus pour le tome 1, séduisant aussi les plus grands. En début d'année ont été lancés quasi simultanément, pour les jeunes garçons, Beyblade Metal Fusion (Kazé) ainsi que Inazuma Eleven et Pokémon chez Kurokawa. D'ailleurs, le label manga d'Univers Poche a fait des enfants "sa ligne directrice 2011". "Il y a de moins en moins de dessins animés japonais à la télé, les enfants n'ont pas forcément le réflexe manga, explique Grégoire Hellot. Il faut aller vers eux pour créer la génération des lecteurs de demain." Jusqu'alors, Kurokawa n'avait réussi à implanter qu'un seul titre sur cette tranche d'âge, Chocolat et Vanilla (60 000 exemplaires par tome). Pour que la sauce prenne, il faut mixer les médias. Chocolat et Vanilla a été publié en même temps que la diffusion du dessin animé sur Kazé TV et Canal J. Inazuma Eleven est, lui, couplé avec un dessin animé et un jeu sur Nintendo DS. Pokémon, qui n'avait pas marché en librairie il y a quinze ans, est relancé en synergie avec le dessin animé sur TF1 et Gulli ainsi que la sortie en mars dernier du jeu, Pokémon Black & White sur DS qui a passé le cap du million de ventes en Europe.
Les éditeurs préparent aussi l'avenir en avançant dans leurs projets numériques. Kazé se lance dans une croisade antipiratage (2) "une condition pour développer le manga numérique par la suite", précise Raphaël Pennes. Pika développe l'offre en proposant une "Web app", c'est-à-dire un site Internet pour smartphones et tablettes qui offre des prépublications de mangas gratuites (renouvelées tous les quinze jours), l'annonce des prochaines parutions et nouveautés disponibles en prépublication, des news, des concours, des liens vers les librairies en ligne pour acheter le manga papier ou sa version numérique quand celle-ci sera disponible.
Les premiers mangas numériques devraient en effet apparaître sous peu. "La mise en ligne commerciale de mangas aura lieu au second semestre", évoque Alain Kahn tandis que Stéphane Ferrand promet qu'"avant la fin de l'année on verra du manga numérique Glénat et des inédits". Avec Mirai Nikki, dont le tout dernier tome paraîtra en octobre chez Sakka, Casterman est le premier éditeur à avoir obtenu les droits numériques pour un shônen qui sera prochainement disponible sur Iznéo. En effet, le fait que presque tous les acteurs du marché de la bande dessinée en France se soient entendus pour créer Bande numérique et sa plateforme Iznéo a beaucoup impressionné les Japonais, qui ont entamé les négociations pour céder leurs droits numériques aux éditeurs français. "Shueisha n'en revenait pas, raconte Yves Schlirf. L'éditeur n'a pas craqué mais a accepté de faire un test sur deux séries." Car la tentation est grande pour les Japonais d'exploiter en direct leur titre, avec une traduction française. Le japonais Square Enix a d'ailleurs lancé discrètement en décembre une plateforme de téléchargement en récupérant, contre rémunération, les traductions des éditeurs français. Il vend les versions dématérialisées en français de séries à succès comme Black Butler, Pandora Hearts, Satan 666, Vampire Chronicles ou Fullmetal Alchemist. Chaque manga coûte 4 euros, un prix élevé qui semble rebuter les lecteurs. Les négociations se poursuivent donc entre éditeurs japonais et français, portant principalement sur le minimum garanti, difficile à établir puisque le modèle économique n'existe pas encore. Les jalons du futur marché sont cependant posés.
(1) Voir notre précédent dossier dans LH 826 du 18.6.2010, p. 71-82.
(2) Voir la tribune dans LH 863 du 29.4.2011, p. 10.
Le manga en chiffres
Tsunami, le jour d'après
Les initiatives de soutien des éditeurs et auteurs et les messages de solidarité des mangavores aux Japonais se sont multipliés depuis le séisme et le raz-de-marée qui ont frappé le pays le 11 mars, et leurs tragiques conséquences. Cependant, les échanges éditoriaux et commerciaux avec la France n'ont pas été perturbés. Seul Doki-Doki a renoncé à publier certaines nouvelles séries au second semestre : elles ont été décalées en 2012 pour un lancement plus serein. "Au Japon, il y a une très forte volonté de communiquer sur la poursuite du travail, et il s'agit de ne pas ajouter à la catastrophe naturelle des difficultés économiques », explique Stéphane Ferrand, chez Glénat. D'ailleurs, les éditeurs français n'osent plus évoquer la catastrophe avec leurs interlocuteurs japonais. "Le Japon ne parle pas de Fukushima, >constate Alain Kahn, chez Pika. C'est un sujet assez tabou."
L'industrie japonaise du livre a néanmoins été bouleversée par la catastrophe naturelle. Le marché de la prépublication des mangas dans la presse a été considérablement ralenti par les problèmes d'approvisionnement en papier et de diffusion. Du coup, les magazines se sont retrouvés en lecture gratuite sur Internet, alors que le secteur était déjà fragilisé avant la catastrophe, rapporte Grégoire Hellot, de Kurokawa. "Chaque année, les ventes s'érodent de 5 %, et on parle de tirages à 1,5 million !" Sur le plan créatif aussi, les mangakas risquent de ressentir le contre-coup de la tragédie. Auront-ils encore envie de créer des bandes dessinées divertissantes à un rythme effréné ? Jirô Taniguchi racontait dernièrement à l'AFP qu'il avait "songé à abandonner le métier". "Je n'ai pas encore le sentiment que je peux transformer en manga ce qui s'est passé dans les régions sinistrées, précisait-il. Je pense que cela changera peut-être et que j'aurai envie de l'exprimer à un moment." La production de mangas se trouvera probablement transformée, à l'image de la littérature "post-11 Septembre" aux Etats-Unis... quatre ou cinq ans après les attentats.
Une succursale pour le Manga Café
Lorsque, à Angoulême, Ben Kordova, un grand ado alors âgé de 17 ans et accompagné de sa mère, a fait le tour des éditeurs pour leur annoncer qu'il comptait ouvrir un "café manga" à Paris, tous l'ont regardé, amusés. Pourtant, le 22 juillet 2006 naissait rue des Carmes, près du Panthéon, le Manga Café, sur le concept des "manga kissa" japonais où sont mis à disposition à volonté mangas, boissons, Internet, jeux vidéo pour un tarif horaire de trois euros. Ce type d'établissement très à la mode au Japon a généralement en France une existence éphémère. Dernièrement, Pandakawa à Rennes, Manga Square à Paris ou Espace Manga à Toulouse ont rapidement mis la clef sous la porte. Mais à contre-courant, le Manga Café se porte bien. Cinq ans après sa création, la mère et le fils sont toujours associés. Ils ont même ouvert le 15 juin un deuxième café dans le nouveau quartier autour de la Bibliothèque nationale de France, tout près des locaux de Flammarion. Avec le même concept, la succursale fera sur 300 m2 une place plus large aux jeux vidéo et développera un rayon sur la culture japonaise et la street culture.
Le Manga Café a peu à peu évolué, faisant une place plus large à la vente. "A l'ouverture du premier Manga Café, nous nous sommes centrés sur l'espace bibliothèque et jeux, raconte Ben Kordova. Mais au bout d'un an, nous nous sommes rendu compte que les clients lisaient chez nous puis achetaient les mangas chez Album en bas de la rue." Depuis, un espace libraire a été aménagé à l'entrée. "Aujourd'hui nous réalisons 45 % du chiffre d'affaires avec la librairie et 55 % avec le café", annonce le fondateur. Ses meilleures ventes ressemblent à celle des librairies spécialisées, et il constate un retour en grâce de One Piece. "Nous avons toujours une vingtaine de tomes 1 en réserve, car la série recrute encore." Ben Kordova veille à avoir plusieurs jeux complets des séries à succès. "Les lecteurs de manga n'ont pas envie de commander : s'ils ne trouvent pas le volume chez nous, ils vont ailleurs ; et si je rate l'office du mercredi, le vendredi je ne vends rien."
Manga Café V2, 9, rue Primo-Levi 75013 Paris, tél. : 01 45 83 70 66
Le manga fait forte impression
Avec ses gros tirages et sa production foisonnante et régulière, la bande dessinée japonaise est un enjeu économique pour les imprimeurs, qui s'y intéressent vraiment depuis cinq ans. Reportage chez Hérissey, leader cette année sur le secteur.
Un tiers des mangas vendus en France sont aujourd'hui fabriqués chez Hérissey. Cette imprimerie située à Evreux (Eure) a parié sur la bande dessinée japonaise dès 2004 en signant un premier contrat avec Kana, pressentant le potentiel de ce secteur en plein développement avec des tirages importants et réguliers. Depuis, Hérissey n'a cessé de s'équiper pour répondre à cette clientèle bien particulière. Aujourd'hui la liste des éditeurs faisant appel à ses services a bien gonflé : Asuka, Doki-Doki, Glénat, Kana, Kazé, Kurokawa, Tonkam... Ce pari réussit à l'entreprise puisqu'elle réalise près de la moitié de son chiffre d'affaires grâce aux mangas, qui représentent plus de 60 % des titres sortant chaque année de ses machines.
120 000 VOLUMES EN UN JOUR
Et des machines, il a fallu en acheter plusieurs, et même en inventer ! Hérissey ne sous-traite pas, assurant toute la chaîne graphique en interne. L'imprimeur a d'ailleurs investi fin avril dans une nouvelle presse, KBA Rapida 105, inaugurée en présence de plusieurs clients qui avaient fait le voyage de Paris dans un car affrété pour l'occasion. "Nous pouvons désormais réaliser des jaquettes avec un niveau de chromie jamais atteint à l'imprimerie Hérissey, se félicite le directeur commercial, Gilles Mure-Ravaud. Cet investissement était capital, sinon nous aurions mécontenté nos clients au risque de les perdre." 74 personnes travaillent sur le site d'Evreux, dirigé depuis six mois par Matthieu Jolibois. Et, lors des pics de production, comme ces jours derniers avec l'approche de Japan Expo, trois équipes se relaient, 24 heures sur 24. Certaines machines peuvent même fonctionner le samedi. Et, en cas d'urgence, l'imprimerie peut produire jusqu'à 120 000 volumes en une journée.
Si les éditeurs japonais et leurs partenaires français sont exigeants sur la qualité d'impression, ils ne sont pas non plus paranoïaques sur la confidentialité. Aucune clause n'est signée. "Ce n'est pas Harry Potter non plus", rappelle Gilles Mure-Ravaud, qui travaillait chez CPI au moment de la parution du dernier tome de la saga de J. K. Rowling. Mais le personnel ne sort jamais de l'usine avec une nouveauté, et, par respect pour les clients, lorsqu'un éditeur vient signer son BAT, il arrive souvent que les piles des mangas des concurrents soient recouvertes d'une housse noire pour préserver le secret jusqu'au dernier moment.
Les 50 meilleures ventes manga : la vague One Piece
A un an d'intervalle, les ventes de mangas pour la période de janvier à fin mai 2011 sont un peu moins concentrées puisqu'elles se répartissent sur 19 séries contre 17 entre janvier et mai 2010. Naruto (Kana), plus gros tirage du secteur, domine notre palmarès Ipsos/Livres Hebdo avec sa dernière nouveauté, le tome 52. Mais il est suivi sur les deux autres marches du podium par deux tomes de One Piece, qui témoignent de la forte montée en puissance de la série, dont 10 tomes figurent au classement. Il s'agit des trois derniers, preuve que les lecteurs continuent à suivre la série, mais aussi des 7 premiers, ce qui souligne que les pirates d'Eiichiro Oda continuent à recruter de nouveaux adeptes. Le tome 1, paru il y onze ans, figure encore à la 19e place du classement.
Au total, les meilleures ventes de mangas se concentrent sur quatre éditeurs - Kana, Glénat, Pika et Kurokawa -, qui ont publié la majorité des titres classés. Ki-oon avec Pandora Hearts 5, Delcourt avec son shôjo Switch Girl 11 et Kazé avec ses combats de toupies Beyblade Metal Fusion 1 parviennent cependant à placer un titre au palmarès. Les tentatives des éditeurs d'élargir leur public en lançant des séries pour les tout jeunes, d'une part, et pour les adultes non lecteurs de bande dessinée japonaise, d'autre part, portent par ailleurs leurs fruits. Deux lancements sur ces créneaux en début d'année figurent dans le classement : Jésus et Bouddha, pour les profanes, en 38e position, et Beyblade Metal Fusion, pour les écoliers, en 43e.