Grand pourvoyeur du rayon document et essais depuis son élection en mai 2017, Emmanuel Macron se fait plus discret en cette rentrée d'hiver. Une poignée d'auteurs poursuivent leur analyse du premier mandat du président de la République, prenant plutôt le parti du pas de côté, à l'image des journalistes de Challenges Nicolas Domenach et Maurice Szafran, qui ont sondé ses proches sur sa façon de gouverner (Anatomie d'un président, Albin Michel), ou du politologue Roland Cayrol, qui cherche la définition du macronisme dans Le président sur la corde raide (Calmann-Lévy). Plus que le personnage, c'est sa politique que les titres de janvier décryptent, et dans une tonalité de relative défiance : des ouvrages comme Contre Macron (Juan Branco, éditions Divergences) ou Voyage au bout des ruines libérales et libertaires (Matthieu Baumier, Pierre-Guillaume de Roux) se passent de sous-titre.
Livres de journalistes
La République en marche et son réservoir de députés novices continuent d'intriguer les journalistes, de Frédéric Métézeau de France Inter (Vieux renards et jeunes loups, L'Archipel) à Manon Rescan du Monde (Les grandes illusions, Robert Laffont). « On ressent un côté anti-élite qui s'affirme », analyse Roman Perrusset, directeur littéraire non-fiction chez Robert Laffont. Un an après Les intouchables d'Etat : bienvenue en Macronie de Vincent Jauvert, il aligne aussi dans sa rentrée Les invisibles de la République de Salomé Berlioux, qui traite de la jeunesse sacrifiée de la France périphérique. Chez Pauvert, François Bégaudeau préfère, lui, s'adresser à l'électeur d'Emmanuel Macron, dont il pointe les idées plus conservatrices que progressistes dans Histoire de ta bêtise.
Tandis que les ventes du rayon essais et documents, déjà en retrait au printemps, ont continué à s'amenuiser au troisième trimestre 2018 (- 3,5 % à un an d'intervalle selon le tableau de bord Livres Hebdo/I+C), la production accuse une très légère baisse pour les deux premiers mois de 2019. Fin novembre, quelque 1 692 ouvrages étaient annoncés sur la base Electre en essais, documents, témoignages et investigations, contre 1 740 à la même période l'an passé. Le nombre de titres en « politique et administration publique » reste stable (171), mais peu d'hommes politiques de premier plan font l'objet d'enquêtes ou de portrait.
La journaliste de Sud Radio Véronique Jacquier se penche néanmoins sur la personnalité de François Fillon pour expliquer le fiasco de 2017, dans L'homme qui ne voulait pas être président (L'Artilleur), et Yannick Jadot, candidat d'EELV à la présidentielle qui s'était désisté en faveur de Benoît Hamon, est l'un des rares élus à prendre la plume. Il lance un appel à ses concitoyens avant les élections européennes de mai (Réveillons-nous !, Les Liens qui libèrent). Cette échéance électorale, la seule en France en 2019, inspire d'ailleurs plusieurs essais sur l'avenir de l'Union européenne, de L'utopie de Macron : cap vers l'Europe souveraine (Pierre-André Taguieff, L'Observatoire), à Considérations sur l'Europe, du philosophe politique Jean-Claude Milner (Cerf), en passant par le recueil La gauche à l'épreuve de l'Union européenne (éditions du Croquant) ou Génération Europe du haut fonctionnaire Ryan Nezzer (Michalon), un plaidoyer pour convaincre les jeunes de s'impliquer davantage dans ces élections.
La rentrée reste un moment privilégié pour publier les grands noms de son catalogue non-fiction, à l'image de Michel Onfray, qui a suivi Gilles Haéri de Flammarion à Albin Michel (Brève encyclopédie du monde, vol. 3 : Sagesse : savoir vivre au pied d'un volcan, coédition Flammarion-Albin Michel), ou de Raphaël Enthoven à L'Observatoire (Nouvelles morales provisoires). Mais les éditeurs s'interrogent cette année sur ce que sera le monde de demain, et la façon de le faire évoluer dans la bonne direction.
Animaux, cerveau, féminisme
Le segment « société » est d'ailleurs le seul dont la production augmente (143 titres contre 121), avec une large variété de thématiques. L'association L214, qui s'est fait connaître avec des vidéos chocs sur la souffrance animale dans les abattoirs, explique ses méthodes dans On n'est pas des bêtes ! chez Robert Laffont. En parallèle, l'essai de Jean-Baptiste Del Amo qui retrace l'itinéraire du groupe dans L214 : une voix pour les animaux paraît en poche (Flammarion). Sans être une tendance réellement nouvelle, la cause animale est clairement dans l'air du temps. La présidente de la SPA, Natacha Harry, publie aux éditions du Cerf (L'animal est l'avenir de l'homme), le chercheur Fabien Carrié décrypte les mouvements animalistes (S'engager pour les animaux, Puf), le journaliste de Konbini Hugo Clément évoque son engagement personnel (Comment j'ai arrêté de manger les animaux, Seuil).
L'humain est aussi au cœur des programmes de rentrée. Un temps dépassé par l'intestin, notre cerveau et ses compétences extraordinaires font l'objet de plusieurs enquêtes en psychologie. Nos cerveaux resteront-ils humains ?, interroge la neurobiologiste Catherine Vidal (Le Pommier), tandis que le psychologue Olivier Houdé publie simultanément L'intelligence humaine n'est pas un algorithme : le cerveau, fin stratège chez Odile Jacob, et Comment raisonne notre cerveau aux Puf. Si Roland Jouvent et Diane Samama questionnent l'impact des nouvelles technologies sur notre organe (Le cerveau est-il transformé par le numérique ?, Odile Jacob), plusieurs auteurs s'intéressent à l'intelligence des machines, et à son impact sur notre futur. Dans une veine provocatrice (L'intelligence artificielle n'existe pas de Luc Julia, First), en pointant ses promesses et ses limites (Des intelligences très artificielles deJean-Louis Dessales, Odile Jacob), ou son infériorité face à l'esprit humain (Pourquoi la pensée humaine est inégalable : comment la philosophie met au défi l'intelligence artificielle de Markus Gabriel, Lattès).
Un an et demi après l'émergence du phénomène #MeToo, la nécessité pour les femmes de se réapproprier leur corps est encore une thématique importante. Le recueil Cours petite fille ! #metoo #timesup #noshamefist (éditions Des femmes-Antoinette Fouque) préfacé par Asia Argento, condamne les discriminations et les violences. Denoël traduit Hunger de la féministe américaine Roxane Gay, Alexia Boucherie réfléchit à la notion de « zone grise » dans nos rapports sexuels (Troubles dans le consentement : du désir partagé au viol, ouvrir la boîte noire des relations sexuelles, Nouvelles François Bourin).
De son côté, Emmanuelle Friedmann aborde les violences gynécologiques dans le livre illustré Vis ma vie avec un utérus (Pygmalion) et la journaliste Cécile Andrzejewski enquête sur le harcèlement sexuel des médecins sur leurs collègues féminines à l'hôpital (Silence sous la blouse, Fayard). Bernadette de Gasquet, chez Albin Michel, évoque plus directement les droits et libertés des femmes face à la maternité (Féminité, maternité : comment on manipule les femmes).
En attendant l'examen du projet de loi sur la bioéthique au printemps, et parmi elles les questions clivantes de la gestation pour autrui (GPA) et de la procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes les femmes, l'éditeur de psychanalyse Campagne première sort le recueil Un bébé pour soi ? Assistances à la procréation et mutations familiales, quand Michalon choisit la voie du témoignage (Moi, Valentina, enfant de la GPA, et alors ? de Valentina Mennesson).
Chez Albin Michel, Antoine Buéno, l'un des rares hommes à s'exprimer sur le sujet, propose une réflexion plus générale sur la procréation, la pression démographique, et cherche des solutions à l'engorgement de notre planète (Permis de procréer).
Les errances de la démocratie
Et si, pour mieux aborder l'avenir, il fallait repenser notre système politique ? Le besoin de repenser notre démocratie surgit dans une poignée de programmes de rentrée. Calmann-Lévy traduit La mort des démocraties, dans lequel Steven Levitsky et Daniel Ziblatt, professeurs à Harvard, décryptent la montée des mouvements populistes dans le monde. Le philosophe Vincent Jarry réagit au désintérêt croissant pour la politique et à la hausse de l'abstentionnisme dans La démocratie des murmures (Excès), Jean-Pierre Wauters, ancien fonctionnaire européen, appelle à une remise en cause du système démocratique européen dans Bâtissons enfin une vraie démocratie ! (Libre & solidaire). Plus incisif, l'économiste Mathias Reymond dénonce les agissements de la presse, qui culpabilise les indécis dans le cadre d'une élection avec Le mépris de la démocratie : retour sur le traitement médiatique des élections présidentielles de 2002 et 2017 (Agone, en coédition avec Acrimed).
Enfin, l'ombre du terrorisme islamiste plane encore sur la production de rentrée, à travers quelques livres évoquant les attentats qui ont touché le pays. Parmi eux, l'histoire de Jawad Bendaoud, le « logeur de Daesh » pendant les attentats de 2015, innocenté par le tribunal correctionnel de Paris (Rien à cacher, Max Milo), ou le témoignage de Nicolle Beltrame (C'était mon fils, annoncé chez Albin Michel le 27 février), la mère du colonel Arnaud Beltrame, mort lors de l'attaque de Trèbes, devraient faire parler d'eux.