L'an dernier à la même période, il n'y en avait que pour l'élection présidentielle à venir. Tout est rentré dans la normale maintenant, de l'exercice du pouvoir élyséen à la production de documents et d'essais, raisonnablement dispersée dans une multitude de sujets. Sauf exception, la non-fiction occupe rarement le top 50 des best-sellers annuels. Stéphane Hessel, dont la brochure était depuis deux ans tout en haut du classement, devrait encore figurer dans le tableau de 2012 qui sera publié dans quelques semaines, à un niveau toutefois moindre, mais encore honorable pour un titre publié en octobre 2010. L'auteur d'Indignez-vous ! n'a rien de programmé pour les deux prochains mois, pas plus que Lorànt Deustch, Florence Aubenas, ou Jean d'Ormesson, dont les ventes avaient aussi dépassé les 130 000 à 150 000 exemplaires nécessaires pour figurer dans ce top 50 toutes catégories confondues.
L'essentiel des bonnes ventes en non-fiction se situe entre 20 000 et 40 000 exemplaires (60 des 100 titres du classement Essais & documents se trouvent dans cette fourchette). Quant à la production, il est très difficile d'en mesurer l'évolution, en raison de l'absence de critères indiscutables caractérisant un ouvrage susceptible d'être rangé dans cette catégorie. Pour cette raison, notre sélection ne peut d'ailleurs être considérée comme un indicateur du volume des nouveautés à venir.
DES POCHES ET DES VEDETTES
S'ils n'ont pas de nouveautés programmées en début d'année, quelques auteurs ayant figuré dans ce tableau des meilleures ventes 2011 sont repris en poche, tels Frédéric Lenoir (Dieu : entretiens avec Marie Drucker, Pocket) ou Elie Wiesel (Coeur ouvert, J'ai lu) ; et Pierre Lescure sera médiatiquement très exposé avec son rapport sur l'exception culturelle ("Acte II"), ce qui devrait profiter à la réédition de son autobiographie (In the baba, LGF). Jean Ziegler, Suisse dérangeant de profession, auquel l'éditeur helvétique Favre consacre une biographie (Jean Ziegler : la vie d'un rebelle de Jurg Wegelin), est repris chez Points (Les nouveaux maîtres du monde, et ceux qui leur résistent). La filiale poche du Seuil relance d'autres succès des derniers mois : La femme qui résiste : témoignage d'Anne Lauvergeon, Le sanglot de l'homme noir d'Alain Mabanckou, Les Strauss-Kahn de Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin.
Parmi les auteurs abonnés aux succès, le prolifique Jacques Attali publie dès janvier un de ses deux ou trois livres annuels, chez Fayard pour commencer, qui a droit à une Histoire de la modernité ; Edgar Morin signe une déambulation personnelle via ses déménagements dans Mon Paris, ma mémoire (Fayard également). Après sa présentation en 2010 des Tableaux qui font la France, Laurent Fabius prend goût à l'écriture culturelle, pendant ses moments libres au quai d'Orsay. Le ministre des Affaires étrangères publie cette fois un essai sur Les mauvais génies (Plon). Michel Onfray poursuit sa Contre-histoire de la philosophie, dont il a livré les volumes 8 (Les freudiens hérétiques) et 9 (Les consciences réfractaires) à Grasset ; il a dirigé aussi Le canari d'Eichmann : treize essais sur la monstruosité (Autrement). Autre philosophe médiatique, Raphaël Enthoven veut marcher dans les pas de Roland Barthes avec Matières premières (Gallimard), réflexions philosophiques sur des objets ou des phénomènes de la vie quotidienne. La maison Indigène, éditrice de Stéphane Hessel, prépare le renouvellement générationnel de l'indignation avec Daniel Cohn-Bendit, charismatique et joyeux trublion toujours vert, qui propose dans un manifeste de 32 pages (3,10 euros) sa méthode Pour supprimer les partis politiques, afin d'encourager le citoyen à penser par lui-même.
ENVIRONNEMENT
La réflexion sur l'environnement et son devenir est une préoccupation qui traverse toutes les disciplines : Frank Burbage propose une Philosophie du développement durable et Gérald Hess développe des Ethiques de la nature (aux Puf tous deux) ; Thierry Gaudin défend L'impératif du vivant (L'Archipel) ; Paul Shepard rappelle que Nous n'avons qu'une seule Terre (Corti) et fait remonter l'origine de la catastrophe qui guette aux débuts de l'agriculture ; le philosophe norvégien Arne Naes fustige la société de consommation industrielle dans Ecologie, communauté et style de vie (Dehors). Bernard Chevassus-au-Louis recycle un slogan électoral : La biodiversité, c'est maintenant (L'Aube), et Alice Audouin interpelle : L'écologie c'est fini : qu'en pensent les économistes ? (Eyrolles).
Le biologiste Jacques Testard explique A qui profitent les OGM (CNRS éditions). Les éditions de l'Epure sortent des recettes de cuisine pour montrer comment se méfier de la nourriture industrielle dans Wild food : les nourritures féroces (Martine Camillieri). Sylvain Morvan raconte son expérience de La face cachée d'un fast-food (Michel Lafon), où il s'est fait embaucher, et Paul Muriel accuse Alimentation industrielle : danger ! (Sang de la Terre). Laquelle prend sa part dans Le grand débordement, pourquoi les déchets nous envahissent, comment les réduire (Elodie Fradet, Annick Lacout, Pacal de Rauglaudre, Rue de l'Echiquier). Pascal Hébel appelle à La révolte des moutons : les consommateurs au pouvoir (Autrement).
François Gervais veut réconcilier l'approvisionnement énergétique avec l'équilibre climatique dans L'innocence du carbone (Albin Michel). Pierre Mauriaud, Pascal Breton et Patrick de Wever proposent une projection sérieuse de l'état des ressources de l'or noir dans un titre calembour : La faim du pétrole (EDP Sciences). Cette raréfaction de la principale ressource énergétique actuelle entraînera des conflits, prévoit Jean-Michel Valantin dans Guerre et nature : l'Amérique se prépare à la guerre du climat (Prisma). Ceux qui se pensent à l'abri de ces turbulences en raison de leur situation privilégiée, sociale ou géographique, se trompent prévient Alexandre Magnan dans Changement climatique : tous vulnérables ? (Rue d'Ulm). Toute cette vie étant bien stressante, nombre de Français retrouvent la sagesse de Candide, célèbre jardinier, et pratiquent Le nouveau retour à la terre, décrit Françoise Perriot (La Martinière). Et Stefano Bartolini peut mettre tout le monde d'accord autour d'un Manifeste de la félicité (Les Liens qui libèrent).
SANTÉ ET SOCIÉTÉ
Depuis le scandale du Mediator, dénoncé par Irène Frachon aux éditions Dialogues, issues de la librairie brestoise du même nom et qui démarraient par un coup d'éclat, les ouvrages sur la santé rencontrent un écho grandissant, surtout lorsqu'ils veulent démontrer que la médecine et la pharmacie ne sont pas toujours au service du bien public. Editions-dialogues.fr creuse ce sillon et publie le professeur André Grimaldi qui revient sur son sujet favori dans La médecine confisquée. Bernard Debré et Philippe Even, vedettes de l'automne avec leur Guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux ont de nouveau signé au Cherche Midi pour dire La vérité sur le cholestérol. Et Bernard Debré, seul cette fois, signe chez le même éditeur un essai sur les relations Des savants et des dieux ; il défend par ailleurs une cause : Contre l'euthanasie !, chez Mordicus. Néosanté, éditeur spécialiste des thérapies alternatives, publie Françoise Berthoud, selon laquelle il faut Repenser les diagnostics néfastes : médecine, mensonges et gros sous. Mikkel Borch-Jacobsen accuse l'industrie pharmaceutique d'inventer de Nouvelles folies : de l'hystérie au trouble bipolaire (Sciences humaines éditions). Annick Perrot et Maxime Schwartz reviennent aux beaux temps des grands chercheurs bienfaiteurs qu'étaient Pasteur et ses lieutenants : Roux, Yersin et les autres (Odile Jacob). Des savants que vient de populariser le lauréat du prix Femina 2012, Patrick Deville, dans son roman Peste & choléra (Seuil). Tandis que Nicolas Tanti-Hardouin questionne le rôle des experts décideurs de ce qui est bon ou pas dans La liberté au risque de la santé publique (Les Belles Lettres).
Le récent débat sur le mariage pour tous va resurgir de plus belle à l'occasion de la discussion de la loi, en mars prochain, retour anticipé par Frédéric Martel dans Global gay : comment la culture gay a changé le monde (Flammarion) et par Jacques de Guillebon (L'impasse : du mariage laïc au mariage gay, éd. de l'?uvre).
CRISE ÉCONOMIQUE ET FINANCE MONDIALE
Les problèmes financiers récurrents, et déjà abondamment dénoncés, suscitent encore quelques nouveautés, à L'Eclat (La finance sur la braise de Christian Marazzi), chez Eyrolles (Grandeur et misère de la finance moderne du cercle Turgot) et chez Yves Michel (Le poison des intérêts : sortons d'une imposture ruineuse ! de Margrit Kennedy). Lattès traduit L'Amérique des prédateurs de Charles H. Ferguson sur l'entrisme des professionnels de la finance dans l'appareil d'Etat - ce qu'Hervé Kempf avait aussi dénoncé dans L'oligarchie ça suffit, vive la démocratie, en réédition prochaine chez Points. L'économiste et essayiste du Seuil analyse maintenant la Fin de l'Occident, naissance du monde, sur le rattrapage des ex-pays dominants, et les tensions engendrées. Les malheurs des Grecs, que certains soupçonnent d'être plus de sombres bouffons que de grands tragédiens, soulèvent des interrogations : La Grèce, victime ou responsable ?, se demande Marietta Karamanli (Ed de l'Aube). Panagiotis Grigoriou fait courir Le cheval des Troïkans : chronique de la crise grecque, 2010-2012 (Fayard), tandis que Kostas Axelos se penche sur Le destin de la Grèce moderne (Encre marine). Les problèmes des Espagnols sont vus à travers l'immobilier : Projet El Pocero : dans la ville fantôme de la crise espagnole d'Anthony Poiraudeau (éd. Inculte). Et la France a aussi plus que sa part de responsabilité, selon Arnaud Leparmentier qui s'insurge contre Ces Français, fossoyeurs de l'euro (Plon).
Demopolis s'est intéressé à l'action du Qatar en France dans Les nouveaux maîtres du jeu (pas d'auteur indiqué) de même qu'Arnaud Hermant et Gilles Verdez, dont le travail montre que rien n'est impossible à d'intrépides journalistes, en dépit de leur titre (Le PSG, le Qatar et l'argent : l'enquête interdite, éd. du Moment).
Les comportements liés aux évolutions technologiques sont étudiés par Monique Dagnaud dans Génération Y : les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion (Presses de Sciences po) ; par Fabien Benoit (Facebook) >chez 10/18-Usbek & Rica, dans un nouveau partenariat éditorial à venir entre la collection de poche et la revue ; et par Anne Dalsuet, qui interroge : T'es sur Facebook ? Qu'est-ce que les réseaux sociaux changent à l'amitié ? (Flammarion).
DE DROITE À GAUCHE
Les livres politiques ne monopoliseront donc plus l'office des prochains mois. Jugeant avec bon sens qu'il est plus simple d'occuper un terrain vide de concurrents, Jean-Louis Borloo, ex-futur candidat à la présidentielle, aujourd'hui président de la toute nouvelle UDI, promet toujours deux livres à deux éditeurs : à Fayard, Mon dictionnaire autobiographique, politique, et à France Empire, Le cap des possibles. Formidable générateur de production éditoriale sur sa personne, son action, ses qualités, ses défauts, etc., le précédent président suscite encore quelques ouvrages, dont le témoignage de Marie de Gandt, auteure de discours élyséens, qui livre Sous la plume : petite exploration du pouvoir politique (Robert Laffont). L'Archipel, spécialiste des "quick books" politiques, a bondi sur La guerre des deux droites au sein de l'UMP, racontée par Hubert Huertas. Revenant sur un débat récent, Valérie Rabault et Karine Berger proposent depuis le PS une stratégie Pour une France plus compétitive.
Prenant plus de distances avec l'actualité, les démographes Hervé Le Bras et Emmanuel Todd se font cartographes et pistent les diversités régionales qui perdurent et composent La France réinventée (Seuil-La République des idées). Bernard Lahire regarde plutôt le pays Dans les plis singuliers du social : individus, institutions, socialisations (La Découverte).
PRINTEMPS ARABE
Les suites du "printemps arabe" sont évoquées dans Les cocus de la révolution : voyage au coeur du printemps arabe par Mathieu Guidère (Autrement), tandis que Smaïn Laacher cherche dans les Soulèvements arabes : l'invention d'un espace démocratique ? (Buchet-Chastel), que l'avocate tunisienne Dalila Ben Mbarek Msaddek n'a pas trouvé. Elle prévient : Je prendrai les armes s'il le faut... : Tunisie, mon combat pour la liberté (Presses de la Renaissance). Alexandre del Valle est tout aussi pessimiste dans Géopolitique de l'islamisme : révolutions arabes, jihad contre l'Occident, judéophobie... (David Reinharc). Actes Sud publie le témoignage d'Aram Karabet, Voyage vers l'inconnu : Mémoires d'un prisonnier politique syrien.
Après la publication de la pensée de Richard Millet sur le terroriste norvégien d'extrême droite qui avait assassiné 77 personnes, la maison Pierre-Guillaume de Roux accueille les Mémoires d'une autre personnalité controversée, l'avocat Jacques Vergès (De mon propre aveu).
Enfin, prenant le contre-pied de lectures dont on ressort en général furieux, déprimé, cynique, désabusé, etc., Jean-Marie Paul aide à relativiser cette production accablante en analysant son histoire dans Du pessimisme (Encre marine). Et Les Arènes ont trouvé 101 raisons d'être optimiste, dont la rédaction a été confiée Eduardo Punset.