Après la réforme du lycée qui supprime les trois filières de la voie générale (L, ES, S) et rebat pour une large part les profils des futurs bacheliers, la logique voudrait que les programmes des classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) soient à leur tour refondus. Certes, aucune réforme n'est encore officiellement annoncée, mais, pour l'ensemble des observateurs, il ne fait guère de doute qu'elle devra être mise en place au plus tard pour la rentrée 2021, qui verra les premiers bacheliers issus du nouveau système Parcoursup entamer leurs études supérieures.

Car la réforme du lycée aura fatalement un impact sur le profil des futurs étudiants. La place accordée à l'enseignement des mathématiques, en particulier, maître étalon du système de sélection pour les classes prépas, laisse planer beaucoup d'incertitudes : les lycéens suivront un tronc commun, dont les maths sont exclues, et choisiront trois spécialités, ramenées à deux en terminale. La spécialité maths, renforcée de l'enseignement optionnel « mathématiques expertes » en t erminale, pourrait donc constituer la voie royale des candidats aux prépas scientifiques les plus prestigieuses, sans pour autant être la seule. « Il n'y aura plus de bacs S mention très bien, mais une variété beaucoup plus grande de parcours et de profils, résume Frédéric Vignaux, directeur des éditions Studyrama. On ne sait pas trop à quelle sauce les classes prépas vont être mangées. » « Comme les mathématiques disparaissent du tronc commun, on peut aussi se poser la question de l'avenir de la classe prépa économique et commerciale option économique (ECE), face à la classe prépa option scientifique (ECS) », complète Manon Savoye, directrice éditoriale chez Ellipses.

Si la prospective va bon train, pour l'heure, les éditeurs s'emploient surtout à défendre leurs positions et à préparer le terrain en vue de leurs futures offensives éditoriales. Les lancements de collections sont rares, tout comme les refontes. Ils ne modifient qu'à la marge les équilibres d'un marché de plus en plus concurrencé par les ventes d'occasion. La refonte l'an dernier par Dunod de son offre destinée aux prépas commerciales, marquée par le lancement de quelques nouveautés, n'a pas bouleversé le segment. Mais l'important n'était pas là, selon Nathalie Bourdon, responsable éditoriale concours et prépas chez Dunod : « Nous voulons surtout occuper le terrain avant la prochaine réforme. Pour le moment, les résultats ne sont pas exceptionnels, mais nous tenons à rester sur ce marché et nous capitalisons pour la suite. »

Compléments numériques

Ellipses mettra tout de même à jour à la prochaine rentrée sa collection « 1001 questions en prépa ». L'éditeur publie également les ouvrages de 2^e année de sa collection parascolaire « Que faire », qu'il avait étendue la rentrée dernière au supérieur. « "Que faire" est destiné aux élèves qui pourraient être effrayés par notre grande collection "Prépa Sciences", précise Manon Savoye. Les ouvrages sont découpés en notions fondamentales présentées sous forme de fiches-méthodes. »

Vuibert procède de même au renouvellement complet des « Vuibert Prépas » de première année, dont 13 titres refondus (contenus, maquette et couverture) paraissent en juin, suivis d'un 14^e en août. Cette refonte, qui se traduit aussi pour la première fois par l'ajout de compléments numériques accessibles via des QR-codes ou des « liens mini » disséminés dans les ouvrages, sera étendue l'an prochain aux titres couvrant la 2^e année de classes prépas. « Outre la modernisation de la forme, nous avons fait évoluer le fond de nos ouvrages, précise Gwenaëlle Painvin, directrice de Vuibert. Par exemple, nous donnons des indices pour aider les étudiants à avancer dans leur cheminement. L'important n'est pas le résultat, mais le moyen d'y parvenir. » Challenger sur le marché des classes prépas depuis son arrivée en 2013 lors de la dernière réforme d'ampleur, Vuibert revendique l'incarnation une « troisième voie » face aux leaders Ellipses et Dunod.

Aux Puf , la responsable d'édition des manuels universitaires Fanny Bouteiller annonce pour la rentrée une « nouvelle charte intérieure et extérieure » pour ses meilleures ventes de « Précis » (Précis d'économie ; Précis de sociologie ; Manuel d'intelligence économique). L'éditeur renforce également son offre à destination des prépas commerciales en publiant en septembre un Dictionnaire des prépas. Ce mois d'avril, Studyrama complète, sous la marque Bréal, la collection pour prépas littéraires « Lettres Sup », inaugurée avec trois titres en octobre 2018. Un quatrième volume, Langues et cultures de l'Antiquité, est paru le 9 avril. « Le retour de Bréal sur le marché des classes prépas se fait doucement mais sûrement, indique Frédéric Vignaux, directeur de Studyrama, qui a racheté Bréal en 2014. Notre collection "L'atout gagnant" continue elle aussi de s'installer à son rythme. » L'éditeur ne prévoit pas de nouveautés pour les prépas scientifiques, tout comme Lavoisier qui, tout juste remis de ses difficultés financières, attend la prochaine réforme pour se relancer. « Cela n'aurait pas de sens de dépenser du temps et de l'énergie pour des livres appelés à devenir obsolètes au bout de deux ans », explique Patrick Fenouil, le P-DG. L'année prochaine, Lavoisier devrait se contenter de publier un ou deux titres d'annales en physique-chimie et maths.

Formats courts

Même si les étudiants de classes prépas restent prioritairement consommateurs de manuels exhaustifs et de tout-en-un, ils se montrent de plus en plus réceptifs aux formats plus courts. Rien de commun, certes, avec ce qui s'observe sur le marché universitaire, où les livres de cours sont en recul structurel, mais la tendance se confirme année après année. Vuibert dresse un bon bilan de l'année écoulée sur le segment restreint des prépas scientifiques BCPST grâce au succès de ses trois mémentos de géologie, géographie et biologie. La filiale d'Albin Michel renforcera encore son offre avec un mémento Maths en août, cette fois destiné à toutes les filières de CPGE scientifiques.

« Nos mémentos sont très visuels et tout en couleurs. Ils abordent une thématique par double-page et sont très appréciés des étudiants », se félicite Gwenaëlle Painvin. Vuibert complète son offensive sur le créneau des formats légers avec la publication, fin avril, de deux ouvrages de travaux pratiques et techniques expérimentales en physique et chimie comprenant des sujets corrigés, des conseils et des QR-codes permettant d'accéder à des vidéos.

Dunod ne publie que cinq nouveautés à destination des prépas scientifiques cette année. La maison d'Hachette renforce notamment sa collection « J'intègre » avec L'oral de physique aux concours des ENS et de Polytechnique, paru en mars, et Biologie et géologie tout en fiches - BCPST 1 et 2, annoncé pour le mois de juin. Si le premier titre est destiné à un public restreint de très haut niveau, le second vise au contraire beaucoup plus large : « Nous avons constitué une équipe d'une dizaine d'auteurs habitués à réaliser d'épais tout-en-un pour Biologie et géologie tout en fiches, détaille Jean-Luc Blanc, responsable éditorial classes préparatoires scientifiques chez Dunod. Mais ce titre est beaucoup plus synthétique. Il couvre les deux disciplines sur deux années en 350 pages. »

S'ils connaissent un développement certain, les ouvrages synthétiques ne semblent toutefois pas en mesure de remettre sérieusement en cause l'hégémonie des tout-en-un. Responsable du rayon classes prépas à la Fnac Saint-Lazare, à Paris, Marie La Haye confirme : « Le rayon repose avant tout sur les grandes collections de manuels "Prépas Sciences" d'Ellipses ou "J'intègre" de Dunod pour l'essentiel. Les ventes de mémentos sont beaucoup moins régulières. »

A la marge, sur les rares territoires encore non couverts, les éditeurs ciblent de nouveaux publics. Alors que les cahiers de vacances destinés aux bacheliers qui s'apprêtent à intégrer une classe prépa sont déjà nombreux, Ellipses développe une nouvelle catégorie d'ouvrages passerelles, faisant le lien entre les deux années de prépa scientifique. L'éditeur publie fin avril trois nouveautés consacrées à la physique, à la chimie et aux mathématiques dans une série intitulée « De la Sup à la Spé : 24 jours pour préparer son entrée en 2^e année de prépa. » « Ce type d'ouvrages n'existe nulle part, assure Manon Savoye. C'est un cahier de vacances pour étudiants de prépas. »

Contenus payants

Autre territoire plein d'avenir et déjà réalité concrète pour certains acteurs : les contenus payants en ligne. Pour la première fois en 2018, le chiffre d'affaires réalisé par H & K via sa plateforme Doc Solus a dépassé celui généré par la vente de ses livres papier. Doc Solus regroupe les énoncés et les corrigés des épreuves scientifiques aux écrits des concours e3a (filière PSI principalement), CCP, Centrale, Mines et X (surtout les filières MP et PC). « Depuis que nous avons opté pour la vente de formules et plus seulement pour la vente de contenus à l'unité, nous enregistrons de très bonnes progressions », indique Sébastien Desreux, gérant de H & K. L'éditeur, qui revendique 15 000 visiteurs uniques par mois, dont 10 000 réguliers, est maintenant en train d'ouvrir la plateforme à la mise en ligne de livres de cours ou de fiches, y compris publiés par d'autres acteurs. « Les premiers livres en ligne seront disponibles d'ici un mois, confiait Sébastien Desreux à la fin du mois de mars. Nous sommes en train de finaliser notre propre solution technique, notamment pour rendre facilement consultables les contenus depuis un smartphone. Ensuite, tout ira très vite. »

Plus embryonnaires sont les solutions actuellement mises en place par Vuibert (évoqué plus haut) ou Dunod : via son site Les-maths-en-prepas.fr, entièrement gratuit et -complémentaire de ses deux tout-en-un de maths première -année (MPSI et PCSI/PTSI), Dunod dénombre plus de 2 000 visiteurs uniques mensuels. « Nous réfléchissons à la création d'autres sites similaires avec d'autres titres », précise Jean-Luc Blanc. W

Culture G : le marché de la peur

Epreuves particulièrement redoutées des étudiants, les thèmes de français-philosophie, pour les prépas scientifiques, et de culture générale, pour les prépas commerciales, continuent d'offrir aux éditeurs un relais de croissance apprécié dans le contexte général de tassement des ventes.

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Les classes prépas sont réputées pour être un marché de la peur. C'est encore plus vrai s'agissant des épreuves de français-philosophie (pour les prépas scientifiques) et de culture générale (pour les prépas commerciales). Craintes des étudiants et souvent abordées à reculons parce qu'elles ne relèvent pas de leur spécialité, elles sont d'autant plus travaillées qu'elles permettent de faire la différence quand la plupart des candidats affichent un niveau similaire sur les matières scientifiques. Les éditeurs répondent volontiers à l'angoisse des préparationnaires en déployant une offre abondante de titres. Chaque année, au début du printemps, ils tentent de publier le plus tôt possible, fin mai/début juin pour les plus rapides, leurs ouvrages sitôt les thèmes rendus publics. Le marché est porteur, d'autant que ces ouvrages, millésimés, ne souffrent pas du marché de l'occasion.

Répertoire de citations

Il se murmurait fin mars que le thème de français/philo serait Démocratie tandis que l'épreuve de « culture G » serait dédiée au désir. Les éditeurs se sont lancés dans la production. Chez Ellipses, le thème de français/philo sera comme tous les ans couvert par quatre ouvrages (L'essentiel, L'intégrale, En dissertations et un commentaire de l'œuvre philosophique au programme). Dunod proposera trois titres (un manuel, un tout-en-fiches et un tout-en-dissertation) qui seront parmi les premiers à bénéficier de la nouvelle identité visuelle de l'éditeur. Studyrama, Bréal, Vuibert, les Puf, Atlande et H & K sont également présents. C'est pourtant GF qui domine les ventes avec un seul titre. Son manuel grand format, avec près de 7 000 exemplaires vendus l'an dernier, détient à lui seul 30 % de parts de marché et fait l'objet d'améliorations régulières. « GF est la référence pour le thème des prépas scientifiques. Nous sommes recommandés par les enseignants, suivis par les libraires et nous bénéficions d'un excellent bouche-à-oreille, se félicite Pauline Kipfer, directrice éditoriale poche chez Flammarion. Chaque année, une nouvelle mécanique de précision s'enclenche et nous réengageons l'image de GF. » L'an dernier, l'ajout d'un répertoire de citations a été apprécié des étudiants. Il sera désormais systématiquement reconduit. Pour cette nouvelle édition, GF va proposer davantage de corrigés de dissertations, sous forme de plans détaillés plutôt que sous forme de dissertations entièrement rédigées.

Offre pléthorique

En revanche, Flammarion ne prévoit pas de se positionner sur le thème de culture générale des classes préparatoires économiques. Il est vrai que l'épreuve est moins populaire en librairie. Dunod a décidé d'arrêter de publier son manuel, qui ne se vendait pas suffisamment, pour se concentrer sur son titre de tout-en-fiches. L'offre reste cependant étendue. Ellipses dispose de trois ouvrages. Vuibert, Studyrama, Bréal ou encore Atlande sont aussi de la partie.

Pour la deuxième année consécutive, Belin sera également présent via un titre reprenant l'identité visuelle et le nom de la grande collection « Major », issue des Puf, au sein du groupe Humensis. Les Puf, de leur côté, ont lancé l'an dernier un nouveau format et fait appel à un nouvel auteur pour maintenir leur présence sur le segment.