Les éditeurs de bandes dessinées et de mangas font preuve d'une remarquable capacité d'adaptation. Le retournement de conjoncture constaté en 2010 (1) s'est confirmé en 2011. C'est "une année de turbulences, avec beaucoup plus de difficultés que par le passé à anticiper les résultats de leurs livres", décrit le P-DG de Delcourt et Soleil, Guy Delcourt. Pour lui, "le marché est un peu illisible : tout n'est pas négatif, mais rien n'est très clair". Les ventes ont faiblement évolué même si, grâce à plusieurs locomotives inattendues comme Quai d'Orsay et La planète des sages (Dargaud), Les ignorants (Futuropolis) et Chroniques de Jérusalem (Delcourt), le secteur a particulièrement bien tiré son épingle du jeu dans la période des fêtes de fin d'année. Mais, faisant depuis deux ans le deuil d'un rythme de croissance insolent qui leur a permis en quinze années de quitter la marginalité, les éditeurs ont su prendre la mesure de cette nouvelle ère de maturité, résistant grâce à des choix éditoriaux plus réfléchis que jamais.
De fait, la BD a démarré 2011 dans le rouge (- 2,5 % au premier trimestre d'après nos baromètres Livres Hebdo/I + C), avant de se maintenir au-dessus de la moyenne du marché du livre les trimestres suivants, et l'année s'est jouée dans les toutes dernières semaines (le bilan de l'année sera disponible début février). Déjà, en 2010, tout s'était joué sur les deux dernières semaines de décembre qui avaient permis au secteur de finir au-dessus de la moyenne du marché. Plus encore l'an dernier, les achats se sont concentrés sur les tout derniers jours avant Noël, et les fêtes ont largement profité au livre. "La BD est un produit de crise, un moyen d'évasion pas trop cher, distrayant et rassembleur", constate François Pernot, le patron du pôle image de Média-Participations (Dargaud, Dupuis, Le Lombard, Kana, etc.).
Si "le réseau Canal BD affiche un bilan très positif et fait preuve de beaucoup d'intelligence en se regroupant", selon le directeur général de Futuropolis, Patrice Margotin, l'année a été dure en librairie et les éditeurs ont constaté des difficultés importantes sur plusieurs réseaux : certaines chaînes spécialisées, le deuxième niveau et les hypermarchés (principalement Carrefour). "Une grosse centrale prenait, il y a quelques années, 8 000 à 10 000 exemplaires d'un tome de la série Les profs. Aujourd'hui, c'est 5 000, >déplore Olivier Sulpice, le patron de Bamboo. Et je ne suis pas sûr que le réassort compense." Le placement en novembre des librairies Album, en procédure de sauvegarde pour une durée de six mois, a été un symbole fort. Réservée aux entreprises en difficulté, mais pas en cessation de paiement, cette procédure suspend le règlement de leurs dettes, le temps pour elles de se réorganiser et de trouver des solutions de remboursement (2). "Nous pâtissons comme tout le monde d'une exposition moindre en grande surface alimentaire et des difficultés de certains libraires spécialisés, note Deborah Druba, la directrice éditoriale de Kurokawa, mais nous avons pour l'instant réussi à équilibrer avec les ventes au premier niveau." Pour le moment, les éditeurs parviennent à compenser. Mais pour François Pernot, «un vrai succès pour nous est un succès qui se vend partout". Et comme l'explique le P-DG de Casterman et de Fluide Glacial, Louis Delas, le seul maintien de l'activité implique aujourd'hui "de grosses dépenses en marketing, plus défensives qu'offensives, au point que la marge progresse beaucoup moins".
PEU DE BLOCKBUSTERS
Contrairement à ce qui s'annonce pour 2012, peu de blockbusters ont rythmé 2011. Cependant, la maîtrise de la production a permis à la plupart des éditeurs de réaliser une année correcte compte tenu du contexte. Au sein du groupe Glénat, Glénat est en nette progression tandis que Drugstore est légèrement en hausse et que Vents d'ouest enregistre une baisse mécanique par rapport à 2010 où la marque avait au programme un Joe Bar Team et ses 400 000 ventes. Casterman affiche grâce aux retombées de l'adaptation cinématographique de Tintin, mais aussi aux nouveautés de Geluck, Bilal et Loisel, et à Kaamelott, un chiffre d'affaires en hausse de 14 %. Média-Participations s'affiche globalement en progression. "L'année est réussie d'un point de vue éditorial, et relativement d'un point de vue commercial, mais elle n'a pas levé les principales interrogations qu'il peut y avoir sur la santé de la librairie", s'inquiète François Pernot.
Bamboo a bien profité de la Coupe du monde de rugby en septembre, habillant la tour TF1 à Paris de ses Rugbymen, et finit l'année à + 10 %. Ankama progresse de 15 % grâce à "la diversification de [son] catalogue et des ouvrages qui s'adressent au public d'aujourd'hui, friand de nouvelles technologies, du Net (blogosphère, Facebook, etc.) et de supports originaux comme les tablettes et les smartphones", selon son directeur éditorial, Olivier Jalabert. Soleil accuse une légère baisse quand Delcourt termine l'année autour de + 6 %. Chez Futuropolis, stable après une progression de 70 % en 2010, Patrice Margotin, se réjouit que la maison ait "anticipé le développement d'un segment de reportage et d'enquête qui se constitue et se confirme avec notamment les titres de Joe Sacco, Etienne Davodeau ou Emmanuel Lepage". "La structuration de ce segment est très significative de l'évolution du secteur, mûr non seulement quantitativement mais aussi qualitativement, car prouvant sa capacité à explorer de nouveaux territoires", poursuit-il.
Les éditeurs de mangas, qui avaient durement subi l'an passé l'arrivée à maturité de leur secteur (des ventes en baisse de 8 % en valeur selon Ipsos), ont su, en 2011, s'adapter au marché et stabiliser l'activité. Pour Alain Kahn, le P-DG de Pika, l'année a été "correcte" grâce aux bonnes ventes de Maid Sama, au succès de Fairy tail et au lancement réussi de GTO : Shonan 14 days."Dans un marché en légère augmentation (en volumes), la part de marché de Pika est restée stable, ce qui est satisfaisant car nous avons publié 15 % de titres en moins", se félicite-t-il. Chez Kurokawa, "2011 a été une excellente année puisque, sur un marché en recul, nous enregistrons une très belle progression et gagnons encore des parts de marché, à + 8,3 % en volumes par rapport à 2010 avec une part de marché de 9 % contre 7,8 % en 2010)", se réjouit Deborah Druba, qui attribue cette progression aux scores des séries historiques (Fullmetal alchemist, Soul eater et Saint Seiya) et aux lancements réussis de Jésus et Bouddha et Pokémon.
VALEURS SÛRES
Après une année 2010 en dessous de ses attentes, Kazé Manga réalise une progression à deux chiffres en 2011, gagnant des parts de marché grâce notamment aux toupies de Beyblade metal fusion, dont les 5 premiers tomes se sont vendus en cumulé à 100 000 exemplaires. Glénat Manga enregistre + 8 % grâce à l'effort fait sur One piece. "Nous avons beaucoup investi pour arriver à placer la série en tête des ventes", souligne Jean Paciulli, le directeur général de Glénat, qui précise que "les lecteurs se recentrent sur les valeurs sûres comme Bleach qui, avec la série télé, connaît un bel essor. Mais il est de plus en plus difficile de travailler les nouvelles séries et nous levons le pied". Stable chez Tonkam, l'activité manga recule de 20 % chez Delcourt. Kana, qui a rattrapé le rythme japonais de publication de Naruto, sa série phare, et ne peut plus publier que 3 nouveautés par an contre 6 auparavant, parvient à se "reconstruire autour de séries comme Pluto, Black Butler ou Bakuman, >analyse Christel Hoolans, sa directrice éditoriale. Ces deux dernières séries sont en cours et continuent de grimper à chaque nouveauté". Ainsi, globalement, l'activité baisse de 10 %, mais, dit-elle, "si on retire le facteur Naruto, on constate une hausse du chiffre d'affaires de Kana".
Pour attaquer 2012, qui s'annonce tout aussi difficile que 2011, les éditeurs ont bordé leur production, ne laissant rien au hasard. D'ailleurs, le nombre de nouveautés et de nouvelles éditions annoncées au premier trimestre 2012 sur la base Electre (voir nos bibliographies p. 77 et 92) reste relativement stable (+ 1,6 %) par rapport au niveau atteint un an plus tôt. Une décélération est même particulièrement sensible pour les mangas, avec 377 titres annoncés (- 11 %), contre 853 pour les autres BD (+ 8 %). Chez Casterman et Jungle, 175 titres sont prévus cette année, contre 206 en 2009. Après être monté un peu plus haut, Futuropolis conservera un rythme de croisière de 35 à 40 nouveaux titres par an.
GROSSE ARTILLERIE
Pour contrer la baisse de fréquentation en librairie, et alors que les ventes numériques demeurent encore totalement marginales, les éditeurs programment des titres propres à attirer massivement des clients dans les points de vente, dégainant la grosse artillerie : Titeuf et son tirage avoisinant le 1,8 million d'exemplaires ou Lou et la fin d'Il était une fois en France (Glénat), Blake et Mortimer, XIII ou Boule et Bill (Dargaud), Lucky Luke (Lucky Comics), Le monde de Thorgal (Le Lombard), Spirou et Fantasio, Petit Spirou, Largo Winch, Lady S, Cédric, Les Tuniques bleues (Dupuis), Les Bidochon (Fluide Glacial), Alix et une nouvelle série, Alix Senator, mettant en scène le héros à l'âge mur (Casterman). Dupuis compte aussi relancer en fin d'année des nouveautés, Buck Danny et Michel Vaillant. Casterman prévoit par ailleurs en fin d'année un important album de Tardi sur la vie de son père.
Les éditeurs continuent aussi d'initier de nouvelles séries "concepts" avec par exemple, chez Delcourt, Zodiaque (un titre par mois à partir de mars) et deux autres séries sur "les grandes évasions" et "les reines de sang". Dupuis - pour qui "le succès des Nombrils (125 000 sorties pour le tome 5), mais aussi celui de Zombillénium ont confirmé la possibilité de réaliser des succès avec l'humour", se réjouit Sergio Honorez, directeur éditorial - entend continuer de creuser ce sillon. Futuropolis va encore renforcer son secteur d'enquête et de reportage avec des titres d'Igort ou d'Emmanuel Moynot.
Pour pouvoir toujours financer la création sur un marché "fort encombré", comme le rappelle Sergio Honorez, les acteurs du secteur multiplient les achats de licences, "une activité qui permet de développer le chiffre d'affaires à moindre risque", fait valoir Jean Paciulli. Glénat a réduit de 10 % sa production en interne, compensant cette contraction par l'acquisition des licences Disney, Le petit Prince et Dreamworks. Au total, en 2012, 20 titres Disney sont programmés, 8 Petit Prince et 8 Dreamworks. >Un titre Disney se vend entre 12 000 et 30 000 exemplaires. Après le démarrage de la publication de l'intégrale Carl Barks sur Donald, en 24 tomes, Glénat prépare à partir de 2012 un travail de même ampleur sur Mickey. "Il ne faut pas perdre son âme, prévient Jean Paciulli, mais ça complète assez bien le tableau."
Kazé développera la licence du dessin animé des années 1980, Les mystérieuses Cités d'or, qui revient sous une nouvelle forme sur TF1 en septembre. L'éditeur a aussi acquis une autre licence, celle de la Web série Flanders company et en fera à partir de juillet des albums jeunesse au format BD classique. La recette porte ses fruits. Dupuis va adapter le succès télévisuel Fais pas ci, fais pas ça. Jungle, qui a fondé son catalogue sur la licence, a réalisé une année exceptionnelle avec, à production équivalente, une croissance du chiffre d'affaires de plus de 30 %. Un succès que son directeur, Moïse Kissous, attribue aux "très bons résultats de l'ensemble de [son] offre BD Simpsons, grâce entre autres choses au lancement réussi de la série dérivée Bart Simpson ainsi qu'aux lancements de Scènes de ménage (en coédition avec M6) et Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus (en coédition avec Michel Lafon) qui ont dépassé les 50 000 exemplaires de vente nette". "La BD de licence, ce n'est pas le jackpot à tout coup, avertit toutefois Louis Delas. Il faut choisir la bonne licence et bien la traiter, dans des conditions économiques adaptées."
Autre forme de licence, les principaux éditeurs s'intéressent de nouveau à la bande dessinée américaine et se dotent d'un label comics. Ainsi Dargaud a racheté les licences de DC Comics et de ses labels Vertigo, DC Kids et MAD, et crée pour elles ce mois-ci la marque Urban Comics avec comme premier titre une réédition de Watchmen d'Alan Moore dans la traduction de J.-P. Manchette. Viendront en février les albums DC Anthologie, Superman : superfiction de Casey et Aucoin, Batman : sombre reflet de Scott Snyder, Wonder woman de J. M. Straczynski... Glénat crée "Glénat comics", et proposera 8 à 10 titres par an avec, à partir de mars, la série Wolf-man (écrite par Robert Kirkman, le scénariste de Walking dead, qui connaît un franc succès chez Delcourt), Anna Mercury et Ignition city, deux séries avec Warren Ellis au scénario, ainsi que N, dessiné par Alex Maleev d'après la nouvelle de Stephen King, qui sera publié en coédition avec Albin Michel. Ankama parvient à récupérer quelques licences DC comics pour sa collection "Pulp heroes" avec la sortie, le 26 janvier, de Batman : first wave, volume 1, sur les origines de l'ange gardien de Gotham City.
ÉLARGIR LE LECTORAT
Du côté des licences japonaises, la stratégie des éditeurs de mangas, principalement centrés sur le shonen et le shojo, sera en 2012 d'élargir plus encore le lectorat en "étant présents sur toutes les tranches d'âge", résume Grégoire Hellot, directeur de collection chez Kurokawa, qui avait lancé l'an passé, d'un côté, Jésus et Bouddha pour un public un plus âgé et, de l'autre, pour les plus jeunes, Pokemon. Pika développera aussi le seinen (plus adulte) avec en mars Billy Bat et le kawai (plus jeune) avec la licence Disney Manga, et deux titres, Kingdom of Hearts et Princess Kilala. Kana compte aussi nourrir la ligne seinen avec deux séries, Bonne nuit, Punpun et I'm a hero, une série plutôt gore, genre jusqu'alors absent de leur catalogue.
Pour limiter les risques, les éditeurs multiplient aussi les adaptations de textes ayant fait leur preuve en fiction ou en non-fiction. Ainsi chez Dupuis, Frédéric Richaud (scénario) et Ivan Gil (dessin) transposent en bulles le 16 mars La bataille, roman qui valut le Goncourt à Patrick Rambaud. Futuropolis annonce des interprétations de L'étranger de Camus, par José Muñoz, et de L'île au trésor de Stevenson, par Jean-Philippe Stassen. Delcourt annonce, entre autres titres, les transpositions de deux romans de Jean Teulé. Ankama publiera des adaptations des romans SF de Stefan Wül en partenariat avec Comix Buro. Drugstore développe des coéditions avec Grasset pour adapter deux documents en BD, La vie secrète de Marine Le Pen de Caroline Fourest, avec Jean-Christophe Chauzy au dessin, et Les chroniques de Nicolas Ier de Patrick Rambaud, mises en images par Olivier Grojnowski. Christian de Metter adapte Piège nuptial de Douglas Kennedy, chez Casterman.
La mise en valeur du fonds et du patrimoine de chaque catalogue est toujours aussi importante. "Etant donné le contexte économique, nous sommes obligés de refaire vivre le fonds", explique Olivier Sulpice, qui a développé des "Best or" de ses séries phares. Reste à savoir "comment remastériser [ses] BD ?", comme le demande Sergio Honorez chez Dupuis, qui cherche avant tout à "retrouver les intentions des auteurs" et va notamment travailler sur les "oubliés de Franquin" comme Bravo les brothers. Pour Kurokawa, "en 2012, le défi sera d'animer le fonds de Fullmetal alchemist puisque la série s'est arrêtée en 2011, mais nous avons pas mal d'idées dont la publication en "omnibus" des premiers volumes à un prix très attractif", indique Grégoire Hellot. Chez Kana, une opération "2 Kana achetés, 1 plateau Black Butler offert" sera proposée dans le réseau hyper-super. "Sur les fonds patrimoniaux aussi, on assiste à une montée en puissance des opérations commerciales et de leur rythme, et la concurrence s'intensifie", pointe Louis Delas chez Casterman, qui espère "faire durer l'effet Tintin", en attendant le deuxième film de Steven Spielberg, fin 2014.
RAFRAÎCHISSEMENT
Cette sécurisation d'une partie de la production permet aux éditeurs de continuer le financement, avec prudence et discernement, des créations et un rafraîchissement de leur offre. Un vrai enjeu car "on assiste à un phénomène d'érosion général sur les séries anciennes de tous les éditeurs", observe Guy Delcourt. Mais lancer de nouveaux auteurs et de nouveaux univers demande désormais "beaucoup d'anticipation, avec le livre prêt plusieurs mois avant parution et du matériel de promotion", souligne Louis Delas. Bamboo a besoin de renouveler son catalogue et lancera 6 nouvelles séries rien qu'au premier semestre, à commencer, en janvier, par Les petits mythos et Jeu de gamins. Soleil prévoit notamment une ou deux nouvelles séries scénarisées par Arleston (Lanfeust), et 3 livres, dont une BD, avec Benjamin Lacombe, l'auteur chez Albin Michel de L'herbier des fées. Dupuis proposera en mai un Texas cowboy par Matthieu Bonhomme et Lewis Trondheim, parmi d'autres ouvrages.
Ces nouveautés et ces projets seront présentés du 26 au 29 janvier au Festival d'Angoulême. Mais les polémiques locales et les conflits permanents entre ses organisateurs et la Cité internationale de la bande dessinée et de l'image (CIBDI), installée dans la ville, irritent de plus en plus les éditeurs. Comme Bamboo depuis quelques années, et plusieurs éditeurs de mangas, Dupuis a renoncé à y participer cette fois-ci. D'autres ont, plus discrètement, réduit la voilure. "Le Festival représente un très gros investissement pour les éditeurs, rappelle Louis Delas, qui préside le groupe BD du Syndicat national de l'édition, qui souhaite "enchaîner sur un nouveau cycle". "La BD a besoin de cette fenêtre médiatique, mais pas à n'importe quel prix, souligne-t-il. Il faudrait que son équipe se concentre sur un vrai projet plutôt que de se débattre dans toutes sortes de conflits locaux et de questions économiques qui ne sont pas dignes du secteur."
(1) Voir "La fin de la bulle", LH 849, du 21.1.2011, p. 71-76.
(2) Voir LH 889, du 9.12.2011, p. 52.
PREMIER BILAN POUR IZNEO
Lancé en mars dernier (1), Izneo avait fait l'événement puisque douze éditeurs assurant près de la moitié du marché de la bande dessinée en France s'étaient associés pour créer une plateforme collective de vente et de location de BD numérisées. Un an après, Izneo vient de lancer ses premières formules d'abonnement pour les médiathèques et pour le grand public via les libraires ou en direct (15 albums pour 30 jours au tarif de 9,90 euros pour un mois, 54,90 euros pour six mois, 99,90 euros pour un an). Une quinzaine de librairies utilisent à ce jour Izneo sous affiliation ou intégration en marque blanche. Régis Habert, son directeur général, se réjouit de l'année écoulée avec près de 2 millions d'albums ouverts, 20 000 clients sur Izneo.com (auxquels s'ajoutent ceux des sites des libraires) et un chiffre d'affaires de 250 000 euros, sans marketing ni communication. 3 000 bandes dessinées d'une vingtaine d'éditeurs différents sont à ce jour disponibles et 80 % d'entre elles sont lues sur des tablettes.
"Un tsunami se prépare, et nous sommes sur la plage, métaphorise Claude de Saint-Vincent, le directeur général de Média-Participations, à l'initiative d'Izneo. La bande dessinée est un déjà genre multimédia, nous sommes obligés d'organiser une offre numérique." Huit éditeurs avaient participé au lancement de la plateforme : Bamboo, Casterman, Dargaud, Delcourt, Dupuis, Glénat, Le Lombard, Soleil. Par la suite, Jungle est venu les rejoindre, tandis que Delcourt/Soleil a annoncé son intention de se retirer. Bien qu'associé, Glénat n'a pas encore utilisé Izneo. "Ce n'est pas notre préoccupation première cette année, explique Jean Paciulli, le directeur général. Cela viendra mais nous ne sommes pas pressés." Bamboo reste, lui, associé à Izneo, mais fait parallèlement des tests avec Hachette car, comme tous les diffusés du groupe, il est invité à utiliser les outils maison.
(1) Voir "Izneo fédère la bande dessinée", LH 850, du 28.1.2011, p. 12-15.
Soleil : intégration en douceur
Acquéreur de Soleil à la fin de juin dernier (1), Guy Delcourt s'est attaché depuis à "mettre l'entreprise en ordre de bataille pour préparer ses succès futurs", indique-t-il. Le P-DG de Delcourt passe deux jours par semaine dans sa nouvelle filiale, l'un à son siège de Toulon, l'autre à son bureau parisien. "Mon intervention éditoriale est limitée", assure l'éditeur qui préfère "renouveler plutôt que changer" l'orientation de la maison, qui enregistre une "légère baisse" de chiffre d'affaires en 2011. "Nous avons surtout travaillé sur l'organisation pour clarifier les fonctions éditoriales, marketing et commerciales, renforcer la structure, les process et les outils de travail ainsi que la circulation de l'information, notamment sur les ventes", précise-t-il. L'identité de "Soleil Celtic" a été consolidée. Une collection "Soleil ésotérique" a été créée. Surtout, des chantiers ont été lancés pour intégrer Soleil au groupe Delcourt : informatique, uniformisation de la gestion des droits d'auteur... "A terme, en commençant par l'unification de la direction financière, de la comptabilité et de la comptabilité auteurs, il y aura un seul service administratif", annonce Guy Delcourt. Les droits dérivés et audiovisuels ont été regroupés chez Delcourt sous la houlette de Juliette Mathieu. En revanche, Soleil conserve son propre service de cessions de droits à l'étranger, comme tous ses services "identitaires" (éditorial, fabrication, commercial, marketing, communication...). Le P-DG du groupe a seulement incité les équipes de Delcourt et Soleil à se rencontrer et à se parler, "ce qui s'est fait de manière informelle".
(1) Voir "Sous le soleil", dans LH 872, du 1.7.2011, p. 55.
La BD en chiffres
TINTIN CONQUIERT L'AMÉRIQUE... ET LE MONDE
Après les Schtroumpfs, le Tintin de Steven Spielberg sortant sur les écrans européens, américains ou chinois, dope les ventes de droits d'albums à l'étranger. Des cessions de droits qui apportent des entrées d'argent non négligeables en ces temps difficiles. Casterman travaille avec une dizaine d'éditeurs étrangers pour la publication des six titres dérivés du film Tintin. Et consécration, un album d'Hergé est apparu pour la première fois dans la sacro-sainte liste des best-sellers du New York Times. "Nous venons de signer cette année nos premiers contrats avec les Etats-Unis", s'enthousiasme Jean Paciulli chez Glénat qui, avec la licence du Petit Prince, a vendu des droits un peu partout dans le monde. "Le marché américain s'ouvre", confirme François Pernot chez Média-Participations, qui note que Blacksad connaît un beau succès outre-Atlantique.
Si tout doucement les Américains réfléchissent à développer une offre bande dessinée, d'autres pays s'ouvrent avec beaucoup de volontarisme comme « la Chine, la Russie ou les pays de l'Est », selon Jean Paciulli. "Nous faisons en effet le constat d'un net développement et d'une véritable réceptivité des pays de l'Est envers notre catalogue, affirme Audrey Bonnemaison, responsable des droits chez Ankama. Nous y développons récemment notre stratégie d'implantation "transmédia" notamment en Russie, où le MMORPG (1) Dofus vient de voir le jour. Nous sommes déjà en contact avec des éditeurs russes afin de leur proposer nos propriétés intellectuelles."
(1) Jeux de rôle en ligne multijoueurs.
Une nouvelle vie pour L'Association
Quittée fin mai par son principal animateur, Jean-Christophe Menu, qui lancera dans le courant de cette année une nouvelle maison d'édition sous le nom de L'Apocalypse, ainsi que par Stanislas, L'Association s'est réorganisée à l'automne dernier et espère tourner à Angoulême la page de la crise ouverte un an plus tôt (1). "Nous renouons avec l'esprit de l'association loi 1901", explique Carmela Chergui, parmi les sept salariés de l'entreprise qui fonctionne en "autogestion" sous le contrôle d'un nouveau conseil d'administration élu le 19 novembre. Le CA comprend cinq des sept fondateurs en 1990 : David B., Killoffer (secrétaire), Mattt Konture, Mokeït et Lewis Trondheim (trésorier) ; un ami de L'Association, Pascal Pierret ; et une ancienne salariée, Céline Merrien, portée à la présidence.
Les décisions éditoriales sont, elles, prises par un comité éditorial de dix auteurs, dont quatre des cinq auteurs-fondateurs membres du CA (Lewis Trondheim n'y participe pas car il dirige chez Delcourt son propre label éditorial, Shampooing) ; Etienne Lécroart, qui assure le lien avec les salariés ; Alex Baladi, François Ayroles, Jochen Gerner, Rupert et Mulot. Après "une bonne fin d'année grâce à l'adaptation de Poulet aux prunes, de Marjane Satrapi, au cinéma, et à l'édition de l'intégrale de L'ascension du haut mal, de David B.", une vingtaine de titres sont prévus en 2012.
"Nous voulons conserver un équilibre entre les projets expérimentaux et des titres permettant de faire tourner la maison", souligne Carmela Chergui. Suivant Le tampographe de Vincent Sardon, paru le 16 janvier, sont notamment annoncés une intégrale augmentée des Incidents de la nuit, de David B., un petit carnet de José Parrondo (Parfois les ennuis mettent un chapeau pour ne pas qu'on les reconnaisse), le catalogue d'une exposition Killoffer, des Comptes et décomptes de l'auteur oubapien - déclinaison BD de l'Oulipo - Etienne Lecroart, des titres d'Alex Baladi et Olivier Josso et, en avril, l'intégrale de La guerre d'Alan d'Emmanuel Guibert, qui sera prolongée en septembre par une nouveauté, L'enfance d'Alan.
(1) Voir notamment LH 862, du 22.4.2011, p. 44.
Outsiders
Si les séries et notamment XIII, en tête, continuent de constituer l'essentiel des meilleures ventes de bandes dessinées, plusieurs oeuvres d'auteurs sont parvenues à s'introduire dans le palmarès 2011. Au premier rang de ces outsiders, La planète des sages s'inscrit en 4e position, précédant les deux volumes de Quai d'Orsay, dont le premier apparaissait déjà un an plus tôt. Le dernier Bilal, Julia & Roem, ainsi que Les ignorants d'Etienne Davodeau, Blast de Manu Larcenet ou encore le septième Magasin général de Loisel et Tripp figurent parmi les 50 meilleures ventes de l'année.
Parmi les séries, Les légendaires, Les nombrils, Les blagues de Toto et Seuls continuent de progresser tandis que le "spin of" Bart Simpson, tout comme Gastoon, réussit son lancement. Quatre séries mangas sont représentées dans le classement avec au total 15 titres, contre 14 en 2010.
Alors que 18 éditeurs étaient parvenus à placer au moins un titre au palmarès l'année précédente, ils ne sont plus que 16 à avoir renouvelé la performance en 2011. 22 titres classés relèvent du groupe Média-Participations (Dargaud, Dupuis, Kana, Le Lombard, Blake et Mortimer), 7 du groupe Delcourt-Soleil, 6 de Glénat, 5 de Flammarion (Casterman, Jungle) et 4 de Pika. Bamboo place 2 titres. Mad Fabrik, Futuropolis, Marsu Productions et Kurokawa, chacun 1. F. P.