Les très français prix littéraires ne sont pas tout. Sans les perdre de vue, les éditeurs cèdent à la mondialisation galopante de l'industrie du livre et lancent ces jours-ci avec fracas des "blockbusters" internationaux achetés à coups de millions de dollars, il y a plus d'un an, parfois sans avoir pu en lire une ligne.
Les romans de E. L. James (Cinquante nuances de Grey) et de J. K. Rowling (Une place à prendre), ainsi que ceux de Salman Rushdie (Joseph Anton) et de Ken Follett (L'hiver du monde) seront-ils une bouffée d'oxygène pour le secteur du livre comme, avant eux, Twilight, Millénium et le Da Vinci code ? Difficile, désormais, de se passer de ces locomotives, qui, comme nous le montrons dans ce numéro, peuvent inverser la tendance d'une année.
Ces quatre ouvrages n'ont pas grand-chose en commun, si ce n'est d'être, à l'origine, de langue anglaise, et ne visent pas le même public. En revanche, tous sont accompagnés par un même type de lancement exigé par les agents anglo-saxons : un très fort tirage, une édition en poche contractualisée, des sorties simultanées sur plusieurs continents, accompagnées de l'interdiction de dévoiler une seule page du livre avant parution (sauf pour Cinquante nuances de Grey, déjà paru en anglais), un budget de promotion négocié lors de l'achat et, souvent, une couverture imposée. Le traducteur chinois du livre de Salman Rushdie a même dû se rendre en Grande-Bretagne pour travailler dans les bureaux de la maison d'édition, par crainte du piratage. Et pour pouvoir en lire les épreuves, les journalistes devaient signer une clause de confidentialité !
La hantise des fuites sur Internet renforce une orchestration minutieuse du secret, devenu dans le même temps un formidable outil de marketing, laissant filtrer juste ce qu'il faut d'informations pour attiser un buzz de plus en plus efficace sur des lecteurs de plus en plus volatils.
Il est vraisemblable que cette force de frappe sophistiquée aura un effet positif sur la trésorerie des librairies au moment des fêtes de fin d'année. Et c'est tant mieux.
Reste que, malgré tout, les plus grands succès sont souvent les moins attendus : comme le disait la semaine dernière au Festival America le romancier argentin Alan Pauls : "Qui aurait pensé qu'un livre comme le Da Vinci code, qui faisait remonter à son héros le boulevard Raspail pour aller sur les Champs-Elysées, aurait du succès en France ?" Résultat : 5 millions d'exemplaires vendus dans l'Hexagone, toutes éditions confondues.