15 janvier > Essai France

Une sculpture n’est pas qu’une œuvre d’art. C’est un objet social. Quelquefois aussi une marchandise, on l’a vu récemment avec la polémique autour de Jeff Koons, l’ancien trader devenu l’artiste vivant le plus cher au monde. Bernard Lahire nous invite donc à une enquête aussi érudite que passionnante sur l’œuvre d’art. Elle commence par la réapparition dans les années 1980 d’un tableau qui ne valait pas tripette avant d’être reconnu peint de la main de Nicolas Poussin. La fuite en Egypte fut ainsi acheté par le musée des Beaux-Arts de Lyon pour 17 millions d’euros !

Comment passe-t-on de l’œuvre au chef-d’œuvre ? C’est tout le sujet de cette recherche sociologique, historique et anthropologique. "Un objet culturel n’existe que saisi par des discours, des grilles de classification, des épreuves, des procédures et des institutions qui l’enserrent et s’en emparent." On se dit, oui, c’est évident. Mais l’examen de ces différents éléments nous montre combien ces étapes sont importantes, voire décisives, dans notre appréhension d’une œuvre : son histoire, sa notoriété, son prix.

L’exemple de Nicolas Poussin est très éclairant. Mais Bernard Lahire aurait tout aussi bien pu suivre l’itinéraire de La Joconde, devenu un symbole bien au-delà de son importance dans l’histoire de l’art. Un objet devient d’autant plus désirable qu’il est convoité. Fidèle à l’esprit de Bourdieu, ce sociologue, qui enseigne à l’Ecole normale supérieure de Lyon, explique que "derrière l’admiration des œuvres, c’est la domination qui se fait jour".

L’auteur de La culture des individus (La Découverte, 2004) démontre qu’il n’y a pas de "désenchantement du monde" et que le sacré n’a pas disparu de nos sociétés. Il s’est seulement rendu invisible, dans la croyance que nous avons à l’égard des œuvres d’art. C’est la fameuse distinction faite par Magritte entre la chose représentée et la représentation de la chose. Mais Bernard Lahire ajoute une autre dimension, encore plus subtile : celle de la valeur de la représentation de la chose. Elle dépend du poids du passé et de la loi du marché.

La sociologie ne doit pas faire oublier l’artiste, le coup de pinceau, le génie. Les experts et les collectionneurs pourront toujours tenter d’imposer à coups de millions une œuvre médiocre, elle ne durera pas. C’est là où une autre forme de sacré intervient. Un tableau est toujours un peu plus qu’un tableau, parce qu’il porte en lui le désir de celui qui le regarde. Mais comme par hasard, les œuvres les plus regardées et les plus reproduites sont aussi les plus chères… Laurent Lemire

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