Comment raconter la violence dans l’Antiquité? Pas facile. D’un côté, il y a ceux qui savent et qui ne parlent pas. De l’autre, ceux qui n’ont rien vu mais qui imaginent, comme Tite-Live qui explique que la ville d’Astapa a été "anéantie par le fer et par le feu". Il faut donc faire la part du vrai et du faux dans ces récits de prises de ville qui constituent un genre littéraire très couru. Dans ce travail pointu, documenté et illustré, tiré de son habilitation à diriger les recherches (HDR), Nathalie Barrandon (université de Nantes) a cherché dans les textes anciens les récits de ces violences de guerre. Elle met en évidence le contexte de la ville qui relie toutes ces chroniques dramatiques. Il faut dire que cela avait mal commencé. Souvenez-vous, Romulus tue Remus parce qu’il franchit les murailles de la cité. C’est ainsi que l’on raconte la fondation de Rome.
Les manifestations sanglantes ne manquent pas dans cette enquête serrée, comme celle de 133 av. J.-C. où le tribun de la plèbe Tiberius Gracchus et trois cents de ses partisans sont occis par une foule menée par le grand pontife Scipion Nasica. Pour la justice, ce fut l’occasion des premières prises de position sur les violences exercées sur les vaincus. Mais dans ce dernier cas, il y eut des procès pour juger de la dangerosité des partisans de… Tiberius. Enfin, ce qu’il en restait.
Nathalie Barrandon ne se contente pas de rapporter ces scènes de la Rome frénétique où l’on coupe les têtes, trucide les personnes désarmées et extermine les esclaves. Avec beaucoup d’à propos, et dans un style bien plus accessible que ne le laisserait supposer le côté "thèse", elle interroge cette Antiquité malade de ses excès à l’aune de notre aujourd’hui bien plus calme, mais pas toujours si serein.
Ainsi, peut-on parler de génocide à propos de la destruction de Carthage ou de l’extermination des Eburons revendiquée par César dans La guerre des Gaules? Nathalie Barrandon ne le pense pas, mais elle ne souhaite pas pour autant faire l’économie de la question. Cette immersion stupéfiante dans cette Rome sauvage, repue de rage et de désespoir, où la cruauté accompagne la tyrannie, nous interroge forcément sur le massacre envisagé comme une technique, une tactique, voir un stéréotype. Une belle matière à réflexion. L. L.