Peu de temps avant sa libération, un gardien de Fleury-Mérogis, où il avait purgé sa peine de deux ans pour "vol avec violence", avait dit à Alexandre Brandy, avec qui il avait sympathisé : "Ecrivez un roman." L’ancien délinquant a pris son temps, dix ans, mais il l’a fait, et de belle manière. Il y a longtemps que je mens, arrivé chez Grasset par la poste, se veut donc la confession authentique des aventures d’un jeune homme sans problèmes majeurs - si ce n’est son sentiment d’être abandonné par son père, son inadaptation scolaire et sociale, et une tendance précoce à la mythomanie - qui devient d’abord un imposteur, puis un braqueur. Ni les juges ni les psys ne savent pourquoi. Lui, imperméable à tout remords ni repentir, parle d’"ennui" et de "jeu".
Le narrateur, 31 ans aujourd’hui, est né à Colmar, non loin de la frontière allemande, parce que son père, adjudant-chef de carrière, appartenait aux Forces françaises en Allemagne avant d’intégrer les services de renseignements. Son grand-père maternel, lui, était un Juif venu de Roumanie, et Brandy se considère comme juif. Il l’a répété à l’aumônier catholique de sa prison, avec qui il a eu un jour une longue discussion "métaphysique". Car, autodidacte, le garçon s’est fait une solide culture, convoquant aussi bien Céline, Baudelaire, Flaubert, Dostoïevski, Stravinsky ou Courbet, et se prenant à la fois pour Napoléon - en exil à l’île d’Elbe comme lui se sent "exilé" dans sa vie - ou Raskolnikov. Sauf que son forfait n’a rien de comparable avec celui du héros de Crime et châtiment.
Fuyant la maison maternelle de Compiègne, Brandy, à Paris, se fit un temps passer pour le neveu de Hariri, de Kadhafi ou de Bachar el-Assad, sans difficulté ni aucun contrôle. Il visitait des appartements d’exception, prétendant vouloir les acheter. Un jour, il jette son dévolu sur un hôtel particulier du 16e arrondissement. On lui montre tout, y compris la chambre-forte, et les bijoux de la propriétaire ! A la seconde visite, il la braque avec un pistolet factice, l’enferme avec l’agent immobilier, et s’empare d’un butin important. Mais il en profite à peine. Il offre des bracelets à sa riche maîtresse japonaise, qui l’a dépucelé, mais elle refuse le présent. Et, comme si, au fond, il voulait se faire arrêter, il sème des indices, ne se cache même pas. On connaît la suite.
Vrai ou fantasmé, ce premier roman hors normes est très littéraire, brillant et agaçant à la fois. Alexandre Brandy saura-t-il transformer cet essai réussi en une carrière d’écrivain ? J.-C. P.